En plein Quartier chinois, l’un des derniers joyaux de l’empire Accurso se retrouve au cœur d’une bataille entre l’ex-magnat de la construction et un ancien partenaire qui lui a servi de prête-nom. L’entrepreneur déchu lui reproche aujourd’hui de faire de fausses allégations pour lui extorquer plus de 2 millions.

Le terrain reste désaffecté depuis des années en plein centre-ville, à l’angle des boulevards Saint-Laurent et René-Lévesque. Depuis que Tony Accurso en a hérité du Fonds de solidarité FTQ en 2010, il est resté invendable en raison de ses graves problèmes légaux et d’une série d’hypothèques, dont une de 62 millions en faveur de Revenu Canada.

Aujourd’hui, les deux lots adjacents à l’emplacement rêvé, au pied de la tour d’Hydro-Québec, font partie des restes de l’empire Accurso. Comme son groupe Simard-Beaudry Construction inc., ils sont depuis 2020 sous le contrôle de la firme Raymond Chabot, sous la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC).

Le responsable du dossier, Jean Gagnon, assure qu’un règlement pourrait intervenir « dès la première semaine de février ». Il devrait permettre à Accurso de conserver son terrain du Quartier chinois, à travers la Société en commandite (SEC) 1111 Saint-Laurent.

« Dette fictive » et « prête-nom »

Mais l’ex-magnat de la construction a un caillou dans la chaussure : le courtier immobilier Amit Gupta, qui a travaillé avec lui pendant des années. Il réclame 2,1 millions en vertu d’une hypothèque et d’un préavis de vente sous contrôle de la justice enregistrés sur la propriété de 40 000 pi⁠2.

Rien d’autre que de fausses allégations, rétorquent Simard-Beaudry et Accurso, dans une requête déposée lundi au palais de justice de Montréal.

Selon leurs représentants, Amit Gupta a fait inscrire son hypothèque « sans droit, sur la foi de considérations fictives et inexistantes ». Le recours qu’il a ensuite fait inscrire pour obtenir 2,1 millions n’aurait « aucun fondement légal » et constituerait « une procédure abusive ».

Accurso contrôle depuis plus de 12 ans la SEC 1111 Saint-Laurent, qui possède le terrain. Mais à partir de 2015, il a fait appel à un prête-nom pour détenir le terrain du Quartier chinois, mentionne sa requête, sans toutefois expliquer dans quel but.

Sur papier, une entreprise sans aucun lien apparent avec Accurso, la Société minière Alta de l’homme d’affaires Georges Bodnar, a alors pris le contrôle de la SEC.

Selon une source bien au fait du dossier qui n’a pas l’autorisation d’en parler, Accurso s’est caché derrière un prête-nom pour que le développement du terrain ne soit pas « stigmatisé » par sa situation légale, alors qu’il croulait sous les poursuites criminelles et civiles.

Il pensait ainsi faciliter ses démarches de financement et d’obtention de permis auprès de la Ville de Montréal.

En 2014, Accurso et Gupta cherchaient un acheteur pour le terrain. La maquette d’un projet de 14 étages circulait parmi les courtiers immobiliers du centre-ville, révélait Le Journal de Montréal.

IMAGE TIRÉE D’UNE ANNONCE D’AMIT GUPTA

En 2014, le courtier Amit Gupta faisait circuler cette maquette d’un immeuble de 14 étages sur le terrain d’Accurso. La Ville de Montréal a depuis limité les hauteurs permises dans le Quartier chinois.

Gupta avait alors déclaré que les banques avaient « peur de se faire maganer » en finançant le projet et que la Ville pourrait permettre une plus grande construction si le promoteur n’était pas lié à Accurso.

Fausses hypothèques

En 2017, Amit Gupta est devenu administrateur d’Alta avec Georges Bodnar, selon le registre des entreprises.

Puis, en novembre 2019, la situation semble avoir échappé au contrôle d’Accurso, selon sa requête. Devenus patrons sur papier de la SEC à travers Alta, Georges Bodnar et Amit Gupta ont alors eux-mêmes enregistré deux garanties hypothécaires sur le terrain du Quartier chinois le même jour.

L’une est allée à sa propre Société minière Alta, pour protéger un paiement de 1,8 million en vertu d’une « entente commerciale ».

L’autre, en faveur de Gupta, devait quant à elle sécuriser un paiement de la même somme « suite à la réalisation de son mandat de coordination de l’administration, de gestion des partenaires et d’optimisation de la valeur » du terrain.

Or, cette « entente commerciale » et ce « mandat » n’ont « jamais existé », assurent les avocats d’Accurso. Ces dettes sont donc « fictives ».

Selon la requête, Georges Bodnar a reconnu qu’il n’avait aucun droit sur le terrain et a donné « quittance complète » à la SEC en décembre dernier. Mais pas Amit Gupta.

Accurso insiste pourtant : « Le défendeur Gupta n’a pas rendu de services de quelque nature que ce soit à SEC pour lesquels SEC pourrait devoir quelque somme que ce soit au défendeur Gupta », allègue sa requête.

Avant d’entrer en conflit avec lui, Amit Gupta a longtemps travaillé avec Tony Accurso. La Presse rapportait en 2011 que l’entrepreneur lui avait confié le mandat de vendre le centre commercial Galeries Laval au Fonds de solidarité FTQ.

« Je n’ai pas de commentaires », a dit le courtier, joint par La Presse. Son avocat Marc-André Landry fait valoir que « les allégations sont contestées et le tribunal aura à trancher ».

Plan d’arrangement imminent

Le contrôleur responsable du dossier de Simard-Beaudry chez Raymond Chabot, Jean Gagnon, pense pouvoir présenter un plan d’arrangement dans « la première semaine de février ». Il doit régler tous les dossiers d’insolvabilité liés à l’ancien entrepreneur.

Après avoir mis Simard-Beaudry sous la protection de la LACC en 2020, Tony Accurso s’est placé personnellement sous la protection de la loi sur la faillite en juin 2022.

Une vaste propriété à Terrebonne et le terrain du Quartier chinois sont les plus importants actifs au bilan de ses sociétés.

Les créanciers de l’ancien empire de la construction lui réclament 160 millions au total, selon les documents publics sur les procédures de Simard-Beaudry.

Ottawa, Québec, l’Alberta, Montréal et Laval ont formulé l’énorme majorité des réclamations.

« La totalité de ce qui est réclamé par les autorités publiques était contestée, mais c’est en voie d’être réglé dans le cadre du plan d’arrangement qui va être proposé prochainement », a dit Paul Ryan, l’un des avocats chargés du dossier pour Accurso et ses entreprises.

MRyan n’a pas voulu commenter les démarches de son cabinet pour faire annuler l’hypothèque et le préavis de vente sous contrôle de la justice de Gupta.

Le processus d’insolvabilité dans lequel se sont engagés Accurso et ses entreprises ne prévoit pas la liquidation de ses actifs. Selon des sources proches du dossier qui n’ont pas l’autorisation d’en parler, l’ancien magnat de la construction compte se servir de ses terrains pour trouver du financement, qui servira à payer ses créanciers.

Quatre ans de prison

L’entrepreneur déchu est condamné à quatre ans de prison pour son rôle dans un vaste système de corruption à Laval. Il en appelle de la décision en Cour suprême et un juge a autorisé sa libération, estimant qu’il n’est pas un danger pour la société.

Les menaces contre la famille d’Accurso s’accumulent depuis l’été dernier. Une succession d’incendies criminels et des tirs ont visé les propriétés de son fils, de sa fille et de son gendre à Deux-Montagnes, à Laval et à Saint-Jean-sur-Richelieu.

En novembre, la Régie de police du Lac des Deux-Montagnes a appréhendé quatre mineurs près de la maison d’Accurso dans la même rue, en possession de matériel incendiaire.