La hausse rapide des taux d’intérêt a fait craindre le pire pour les détenteurs de prêts hypothécaires. Mais ce sont les ménages sans emprunt hypothécaire qui montrent le plus de signes de détresse financière, révèle le Rapport sur la stabilité financière publié jeudi par la Banque du Canada. Son gouverneur, Tiff Macklem, a répondu à nos questions.

Les ménages qui n’ont pas de prêt hypothécaire ont plus de difficulté que ceux qui en ont un à joindre les deux bouts. Comment expliquer ça ?

C’est en raison des prix des loyers qui ont augmenté rapidement, mais ce n’est pas seulement à cause de ça. C’est aussi parce que les taux d’intérêt sur les prêts à la consommation et les prêts autos ont augmenté. L’alimentation coûte aussi plus cher. Les locataires ont généralement des revenus moins élevés que les propriétaires, et ça explique pourquoi les défauts sur les cartes de crédit et les prêts automobiles des ménages sans prêt hypothécaire augmentent et sont revenus à leurs niveaux d’avant la pandémie alors que les défauts parmi les emprunteurs qui ont un prêt hypothécaire sont faibles et stables.

La moitié des détenteurs de prêts hypothécaires ont déjà renouvelé leur emprunt à des taux d’intérêt plus élevés et le taux de défaut reste très bas, à 0,5 %. Prévoyez-vous que ce taux puisse encore augmenter ?

Le taux de défaut est bas, mais ça ne veut pas dire que ce n’est pas difficile pour ces ménages. Ils se sont ajustés en diminuant leurs dépenses. Ils paient leurs hypothèques, ils paient leurs cartes de crédit et paient leurs prêts auto. Mais les taux d’intérêt sont plus hauts et ils ont moins d’argent pour leurs autres dépenses. Ils ont ajusté leur consommation. Ça n’a pas eu un grand effet sur la stabilité financière (jusqu’à maintenant).

Ce ne serait pas surprenant que le taux de défaut monte dans les deux prochaines années parce que les ménages qui renouvelleront leur hypothèque vont avoir un changement de taux d’intérêt plus grand que ceux qui ont déjà renouvelé. On sait aussi que ces ménages ont moins d’équité sur leurs maisons et qu’ils ont contracté en moyenne des hypothèques plus élevées en fonction de leurs revenus. Pour ces raisons, l’ajustement dans les deux prochaines années pourrait être plus difficile. D’un autre côté, l’emploi est assez bon, les ménages ont vu une augmentation de leurs salaires et ils ont épargné pendant la pandémie. Donc, il y a des choses qui vont dans l’autre direction.

Le nombre de faillites d’entreprises est en forte hausse. Faut-il s’en inquiéter ?

C’est inquiétant pour ces entreprises qui sont en faillite, mais en matière de stabilité financière, ce n’est pas tellement inquiétant parce qu’il y a de bonnes raisons de penser que certains éléments de cette forte hausse des faillites reflètent un certain rattrapage. Pendant la pandémie, les faillites étaient très basses, très en dessous d’un taux de faillite normal, parce que les taux d’intérêt étaient très bas et qu’il y avait plusieurs programmes pour aider les petites entreprises.

Après une période de trois ans avec un nombre de faillites très bas, ce n’est pas tellement surprenant que les faillites montent. Oui, c’est plus haut que la normale. Si c’est du rattrapage, ça devrait diminuer. Les données les plus récentes montrent une certaine diminution, mais c’est un peu tôt pour conclure que ça va continuer de baisser. Pour ce qui est de l’impact sur la stabilité financière, la plupart de ces entreprises en faillite sont très petites et si vous regardez tout le portefeuille de prêts aux entreprises dans les banques, les taux de défaut sont bas au total. Les grandes entreprises vont assez bien.

Le dernier Rapport sur la stabilité financière est plus optimiste que celui de l’an dernier. Alors qu’on anticipe une baisse des taux d’intérêt, quel est le principal risque pour la stabilité du système financier ?

Le plus préoccupant, c’est l’adaptation des ménages aux taux d’intérêt plus élevés. La plupart des ménages vont s’adapter. Parmi ceux qui ont une hypothèque, il y a encore un autre 50 % qui vont renouveler au cours des deux prochaines années et on sait que ces renouvellements vont être avec une plus grande hausse de taux d’intérêt. C’est quelque chose qu’on regarde de près.

Oui, le marché anticipe que les taux d’intérêt vont baisser, mais s’il y avait un choc d’inflation et que les taux d’intérêt ne baissaient pas, le problème serait plus sévère. L’économie peut ralentir plus vite et le taux de chômage peut augmenter et le revenu des ménages peut baisser et ça devient plus difficile de payer les hypothèques. Ce n’est pas notre scénario de base, mais c’est vrai que les ménages au Canada sont plus endettés.

Comme je l’ai mentionné, je ne pense pas que les taux d’intérêt vont baisser très vite et je n’anticipe pas qu’ils retournent au niveau où ils étaient pendant la pandémie. Ils ne vont même pas diminuer au niveau où ils étaient avant la pandémie.

Alors qu’une baisse du taux devient plus probable, on voit que des dissensions apparaissent au sein du conseil de direction de la Banque sur le moment approprié pour enclencher la baisse des taux. Est-ce que vos réunions s’allongent ou est-ce que le ton des discussions monte ?

Une certaine diversité des perspectives, c’est bon. Tout le monde vient avec différentes expertises et différentes expériences et on travaille ensemble. J’aime cette discussion. Je trouve que c’est une très bonne façon de prendre des décisions. Au Canada, ce n’est pas une personne, un vote [comme c’est le cas dans d’autres banques centrales]. C’est notre responsabilité de travailler ensemble pour trouver la meilleure décision et pour ça, nous avons besoin d’écouter nos collègues.

Mais les réunions s’allongent ?

Elles sont plus riches. On peut avoir différentes perspectives sans être fâché avec son collègue. Je suis le président du conseil et c’est vraiment à moi d’essayer de trouver la décision où tout le monde se retrouve.