L’été s’annonce de nouveau difficile en matière d’itinérance à Montréal. Non seulement les ressources d’hébergement sont déjà pleines à craquer, mais surtout la détresse des usagers vulnérables est plus que jamais perceptible dans la rue et dans le métro. Devant l’ampleur du phénomène, un nouvel exercice de recensement se prépare.

Ce qu’il faut savoir

Les ressources pour personnes itinérantes sont pleines à craquer à Montréal.

Les organismes plaident pour la mise sur pied d’un réel modèle « 24/7 » financé de façon plus structurelle.

Un nouvel exercice de recensement du phénomène doit avoir lieu la semaine prochaine.

« Ça déborde de tous les côtés en ce moment », lance sans détour Annie Savage, directrice du Réseau d’aide aux personnes seules et itinérantes de Montréal (RAPSIM).

Son groupe, formé de plus de 100 organismes venant en aide aux usagers vulnérables dans la région, appréhende que « le phénomène augmente encore davantage dans les prochains mois, dans un contexte où la crise du logement va en s’accentuant ».

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Sans-abri dans la ruelle adjacente à la Mission Old Brewery

Mme Savage est catégorique : l’écosystème communautaire « fait tout ce qu’il peut avec les moyens qu’on [lui] donne présentement ». « Le gros problème, c’est le manque de place pour ouvrir des ressources. Ça nous empêche de déployer des projets qui viendraient répondre à des besoins », dit-elle.

« Tous nos établissements qui offrent des services d’urgence sont pleins. C’est un temps très difficile à la première ligne », confirme aussi le président de la Mission Old Brewery, James Hughes. Il craint notamment que « plus il y a de personnes en situation d’itinérance dans l’espace public, plus la population l’accepte comme étant une réalité permanente, ce qui est très dangereux ».

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Campement de sans-abri aux abords de la rue Notre-Dame, dans Hochelaga-Maisonneuve

Un modèle « 24/7 »

L’hiver dernier, Montréal comptait approximativement 1800 places dans des refuges, de jour et de nuit. Si on inclut les autres ressources – dont les centres de dépendance, les hôpitaux et les logements sociaux –, c’est environ 7000 places qui sont offertes pour cette clientèle.

Selon Annie Savage, « la solution doit passer par un programme finançant les lieux d’accueil 24/7 […], de manière permanente, dans des locaux où les organismes sont propriétaires ou au moins locataires sur le long terme ».

On n’en veut plus, des sous-sols d’église. Et ça devrait être illégal que nos gouvernements ne financent que des ressources ouvrant le jour et le soir. Ça n’a aucun sens. C’est comme si on avait des hôpitaux qui ferment la nuit.

Annie Savage, directrice du RAPSIM

M. Hughes est d’accord. « On doit absolument miser sur des services 24/7, 365 jours par année. Les mesures ponctuelles, on oublie ça. Il faut avoir une vision où les services professionnels sont là en tout temps. Et à plus long terme, on va solutionner l’itinérance par le logement, point. Ces gens-là n’ont jamais rêvé d’être dans un campement ou dans le métro », note-t-il.

Des enjeux « complexes et variés »

À la Ville de Montréal, le responsable de l’itinérance au comité exécutif, Robert Beaudry, envisage aussi « un été pendant lequel on va devoir être au front ». « Les enjeux sont de plus en plus complexes et variés, qu’on parle de santé physique, de santé mentale, de vieillissement de la population ou encore de la toxicomanie qui se transforme avec les drogues de synthèse », dit-il.

« Ça va prendre des investissements majeurs des gouvernements. On peut acquérir des terrains, mais ça prend de l’infrastructure. On ne peut plus travailler en réponse temporaire si on veut répondre à une situation d’urgence », ajoute M. Beaudry, qui aimerait notamment que le réseau de la santé s’intègre davantage « à l’intérieur des groupes communautaires ».

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Sans-abri sur un trottoir de Montréal

L’opposition, elle, déplore « l’absence d’un plan d’action municipal visant à offrir des alternatives aux personnes qui se retrouveront dans des campements de fortune » à l’approche de l’été. « Nous invitons l’administration Plante à faire preuve de leadership et à augmenter le nombre de ressources d’hébergement 24/7 adaptées », affirme le conseiller Benoit Langevin.

Par courriel, le CIUSSS du Centre-Sud-de-l’Île-de-Montréal se dit justement « à finaliser le plan en itinérance pour la période estivale ». « Nous sommes en pourparlers avec tous nos partenaires, dont les organismes communautaires », affirme sa porte-parole, Geneviève Paradis.

Vers une « énumération » de l’itinérance

D’ici là, une « énumération de l’itinérance hébergée » aura lieu le 23 avril. Il ne s’agit pas d’un « dénombrement » à proprement parler, qui mobilise des tonnes de bénévoles dans la rue, mais surtout d’un exercice administratif durant lequel les ressources sont invitées à compiler leur fréquentation et leur taux d’occupation. L’exercice est toutefois un coup d’épée dans l’eau, selon plusieurs intervenants.

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Campement de sans-abri aux abords de la rue Notre-Dame, dans Hochelaga-Maisonneuve

En septembre, les résultats du premier dénombrement officiel de l’itinérance depuis 2018 démontraient que le phénomène a bondi de 44 % en cinq ans au Québec, avec 10 000 sans-abri en date d’octobre 2022. Depuis cette date, toutes les parties s’entendent pour dire que ce chiffre a fort probablement bondi.

Le ministre responsable des Services sociaux, Lionel Carmant, avait annoncé une somme de 20 millions de dollars supplémentaires pour couvrir les besoins urgents, mais surtout, il s’était engagé à ce que le dénombrement se fasse de façon plus régulière.

« Notre objectif demeure de développer un continuum de services à l’année, allant des refuges jusqu’aux logements supervisés », dit son attaché de presse, Lambert Drainville.

Il rappelle que le gouvernement « a cessé la fermeture des refuges au gré des saisons, qui auparavant n’étaient ouverts que de décembre à mars ».

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Sans-abri devant la rue Saint-Antoine, dans le Vieux-Montréal

Une enveloppe en ce sens « a été reconduite pour quatre années additionnelles lors de la mise à jour économique de novembre dernier, pour un investissement total de 123,7 millions sur 5 ans », ajoute M. Drainville.

« Le logement destiné aux plus vulnérables sera une partie importante de la solution pour la suite, alors que de plus en plus de projets voient le jour, permettant ainsi de ramener les personnes vers l’autonomie tout en libérant des places en refuges », conclut-il en citant les exemples du projet Le Christin, de la Résidence Bash Shetty, de l’organisme Chez Doris ou encore du Pavillon Robert-Lemaire.

En savoir plus
  • 20 000
    Il n’existe pas de données officielles sur le nombre de refus dans les refuges par manque de places. Or, selon le RAPSIM, depuis 2019, à elles seules, les cinq ressources accueillant des femmes dépassent les 20 000 refus annuellement.
    source : RAPSIM
    60 %
    En 2018, 80 % des personnes itinérantes se trouvaient à Montréal, comparativement à 60 % en 2022. Cela représente néanmoins une hausse de 1033 personnes dans les rues de la métropole.
    source : GOUVERNEMENT DU QUÉBEC