Je ne suis pas de ceux qui ont poussé de hauts cris en apprenant que la ministre France-Élaine Duranceau portait des escarpins Louboutin à 1200 $ pour une annonce sur le logement social.

Comme pour Catherine Dorion et son coton ouaté ou Pauline Marois et ses chics foulards, cette controverse me semble révélatrice d’un « deux poids, deux mesures » à l’égard des femmes en politique.

Il ne nous viendrait jamais à l’idée de reprocher à un homme politique de porter une montre de luxe, un complet d’un grand couturier ou une cravate en soie à fort prix. Lorsqu’on le critique, c’est pour ses choix politiques et non pour son audace vestimentaire. Le genre de luxe que la femme politique n’a généralement pas si elle ose déroger aux diktats sur son apparence physique. Être belle, mais pas trop. Chic, mais discrète. Pas trop sexy ni trop originale. L’air ni trop riche ni trop pauvre. Ni trop fatiguée ni trop maquillée. Ni trop souriante ni trop fâchée. Ni trop sévère ni trop décontractée…

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

France-Élaine Duranceau, ministre responsable de l’Habitation

S’il arrive qu’un homme politique se fasse remarquer pour son choix de chaussures, on n’est jamais au rayon bien garni des commentaires sexistes réservés aux femmes. On l’a vu par exemple avec Bruno Marchand qui, en pleine pandémie, alors qu’il était un illustre inconnu en politique municipale condamné à faire campagne avec un masque, a fait de ses chaussures de course aux couleurs vives sa marque de commerce. Un choix de marketing politique astucieux qui a été salué et même imité. Lorsque le premier ministre François Legault, au congrès national de la CAQ l’an dernier, a lui aussi troqué ses souliers vernis pour des espadrilles décontractées, aucune chemise n’a été déchirée. Personne n’a eu besoin d’organiser une manifestation « Mes espadrilles, mon choix ! », comme cela avait été fait dans la foulée de la controverse sur la tenue vestimentaire de l’ex-députée solidaire Catherine Dorion.

« Le choix vestimentaire des femmes ne vous appartient pas », avaient alors rappelé les organisatrices d’une campagne de soutien dans les réseaux sociaux intitulée « Mon coton ouaté, mon choix » en novembre 2019. « Coton ouaté, brassière, mini-jupe, voile, salopette. Ce n’est pas de vos affaires », lisait-on dans l’appel à manifester.

On peut maintenant ajouter « escarpins de luxe » à l’énumération dans la catégorie « Pas de vos affaires ».

Ce qui est parfaitement de nos affaires, en revanche, ce sont les choix politiques de nos élus. Ceux de la ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau – qui ne s’est pas particulièrement démarquée par son souci du bien commun dans la gestion de la crise du logement dans un contexte où la spéculation immobilière va bon train, où l’itinérance explose, où des aînés vulnérables sont mis à la rue et où des femmes victimes de violence n’ont pas de place en maisons d’hébergement –, méritent certainement d’être critiqués.

Depuis le début de son mandat, la ministre Duranceau multiplie les faux pas qui révèlent une incompréhension du rôle que doit jouer l’État pour résoudre la crise du logement et tous les enjeux de société qui y sont liés.

En novembre dernier, elle a été blâmée par la commissaire à l’éthique et à la déontologie de l’Assemblée nationale pour avoir, peu de temps après sa nomination au Conseil des ministres, « favorisé de manière abusive les intérêts personnels » d’une amie lobbyiste et ancienne partenaire d’affaires1. Une erreur « de bonne foi », a-t-elle dit, à la suite de l’enquête de la commissaire, en reconnaissant qu’elle avait alors agi comme elle le faisait dans le milieu des affaires, sans savoir qu’en politique, les règles étaient différentes.

On se rappelle par ailleurs sa déclaration sur la cession de bail où elle sommait les locataires inquiets d’investir eux-mêmes en immobilier.

Une déclaration qui a aussi été suivie d’excuses, mais pas d’un retrait de la mesure limitant le recours à la cession de bail dans la loi sur l’habitation2. Plus récemment, il y a eu aussi cette autre déclaration malheureuse sur les nouvelles maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence réduites au statut de portes qui coûtent trop cher3.

Que ces faux pas soient multipliés par une ministre en escarpins ou en espadrilles n’y change rien. Ce sont les mêmes faux pas, les mêmes erreurs de discernement qui nous éclairent bien davantage sur le manque de sensibilité du gouvernement caquiste à l’égard des locataires les plus vulnérables et son refus d’en prendre suffisamment compte dans ses politiques publiques.

L’habit ne fait pas la ministre. Ses idées, oui.

1. Lisez « Duranceau a favorisé les intérêts d’une amie » 2. Lisez « La ministre de l’Habitation a fait de la spéculation immobilière, déplore QS » 3. Lisez « À 900 000 $ la porte, le coût est excessif, juge Duranceau »