(Saint-Hyacinthe) La ministre de l’Habitation, France-Élaine Duranceau, s’est livrée à de la spéculation immobilière en transformant un duplex de Montréal en condos, déplore Québec solidaire, qui croit que cela démontre qu’elle n’a pas l’intérêt des locataires à cœur.

Ce qu’il faut savoir

  • La ministre de l’Habitation France-Élaine Duranceau, avec d’autres partenaires, a fait rénover un duplex de l’avenue de Chateaubriand acquis au coût de 517 000 $ pour y aménager cinq logements en copropriété, avant de les revendre pour un total de plus de 3 millions.
  • Cette pratique « spéculative » est dénoncée par Québec solidaire.
  • Andrés Fontecilla voudrait plutôt encadrer les « flips », qui augmentent le coût de l’immobilier et des logements.

« Elle a fait un flip immobilier. Ce n’est pas interdit, mais c’est une pratique spéculative qui contribue puissamment aux hausses du prix. Elle a acheté un bâtiment avec des logements, et les a retirés du marché locatif, et les a vendus en tant que condos. Ça vient faire de la pression sur le prix des loyers », a dénoncé le député de Québec solidaire Andrés Fontecilla.

France-Élaine Duranceau et Annie Lemieux, présidente du groupe immobilier LS4, se sont en effet associées pour réaliser une opération d’achat-revente — un « flip » immobilier tout à fait légal — dans La Petite-Patrie à Montréal.

Avec d’autres partenaires, elles ont fait rénover un duplex de l’avenue de Chateaubriand acquis au coût de 517 000 $ pour y aménager cinq logements en copropriété, avant de les revendre plus de 3 millions au total. Le dernier de ces condos a été vendu le 29 novembre 2022, selon le registre foncier, alors que Mme Duranceau était ministre de l’Habitation.

Le cabinet de Mme Duranceau a précisé que la dernière transaction au projet était le 7 juin 2022, et que « toute transaction subséquente » a été faite « entre deux tiers de la ministre n’est pas impliqué ».

« On considère [que les flips] contribuent à la flambée des prix et rendent plus difficile l’accès à la propriété », a dit M. Fontecilla, qui s’est réuni vendredi à Saint-Hyacinthe avec ses collègues dans le cadre du Conseil national de Québec solidaire, qui doit se poursuivre ce samedi et dimanche. Il souhaite plutôt encadrer cette pratique avec un projet de loi.

Favoriser les intérêts des propriétaires

Il estime que Mme Duranceau a contribué à la crise du logement avec son comportement. « Évidemment, ce n’est pas une seule personne qui crée la crise, mais elle fait partie de ce mouvement de spéculateurs qui viennent gruger le marché locatif », a-t-il dit.

Malgré tout, la co-porte-parole de Québec solidaire Manon Massé est prête à laisser une chance à Mme Duranceau, si elle modifie son projet de loi.

Elle a l’opportunité de nous démontrer que c’est une ministre qui va prendre soin des quarante quelque % de ses concitoyens qui sont locataires et qu’elle ne se laissera pas influencer seulement par le milieu duquel elle provient. On lui donne une chance, mais il faut qu’elle s’enligne.

Manon Massé, co-porte-parole de Québec solidaire

Ce conseil national est le dernier où Mme Massé sera co-porte-parole. La course pour la remplacer n’est pas officiellement lancée, mais déjà, trois candidates font activement campagne et ont vertement critiqué Mme Duranceau.

Course

Christine Labrie (« c’est dégoulinant de mépris »), Ruba Ghazal (« ce n’est pas l’intérêt des locataires qu’elle a à cœur, mais l’intérêt des propriétaires ») et Émilise Lessard-Therrien (« finalement, nos politiciens sont proches de l’élite, tout le temps ») s’en sont toutes prises à la ministre de l’Habitation.

Elles ont également fait valoir des arguments pour obtenir les votes des délégués de Québec solidaire qui choisiront, en novembre prochain, celle qui succédera à Manon Massé.

La députée de Mercier, Ruba Ghazal, veut parler d’indépendance et de « nationalisme de gauche plus progressiste et inclusif », un discours que la population n’entend pas actuellement de la part de Québec solidaire.

Je sais qu’en région les gens sont sensibles à ce discours plus nationaliste et j’ai envie de mettre ça plus de l’avant.

Ruba Ghazal, députée de Mercier

L’ex-députée de Rouyn-Noranda–Témiscamingue, Émilise Lessard-Therrien, défaite lors des élections générales de 2022, a fait valoir que le fait qu’elle est issue d’une région lui permettrait d’aller chercher l’oreille du Québec rural, et qu’elle aurait du temps pour le faire puisqu’elle n’est pas élue. « Pour moi, c’est un grand avantage. QS s’est toujours réclamé d’être le parti des urnes et de la rue. Pour bien incarner la rue, ça prend un porte-parole extraparlementaire qui va être là pour investir le terrain, qui va être proche des groupes sociaux », a-t-elle dit.

De son côté, la députée de Sherbrooke Christine Labrie a rétorqué qu’elle avait réussi à conserver son siège. « J’ai fait la démonstration en 2018 et en 2022 que je suis capable de non seulement faire percer Québec solidaire dans une région où il n’y avait pas déjà un appui solide, mais également de conserver ces appuis-là. Je suis capable de rejoindre les gens qui ne s’intéressaient pas à Québec solidaire auparavant, ou qui ne s’intéressaient pas à la politique du tout », a-t-elle dit.

Semaine difficile pour Duranceau

La ministre de l’Habitation n’a pas eu une semaine facile. Son projet de loi 31, déposé au dernier jour de la session parlementaire il y a une semaine, a été mal reçu par les groupes de défense des locataires.

Le projet de loi est un « gros cadeau » aux propriétaires en limitant les cessions de bail, ont dénoncé QS et le Parti québécois.

Mme Duranceau avait d’ailleurs dû rectifier des propos qu’elle avait tenus la semaine dernière pour défendre son projet de loi.

« Tu ne peux pas utiliser un droit qui n’est pas le tien, de céder un bail à quelqu’un d’autre, à des termes que tu décides quand ce n’est pas ton immeuble. Le locataire qui veut faire ça, il faut qu’il investisse en immobilier », a-t-elle lancé en entrevue à Noovo, vendredi dernier.

« J’ai dit ça et je suis désolée si ç’a paru insensible, j’étais dans une description juridique et économique des choses. Au contraire, je suis très sensible à ce qui se passe en matière d’habitation », a-t-elle plaidé à son arrivée au Conseil des ministres.

Avec la collaboration d’Hugo Joncas et Charles-Éric Blais-Poulin, La Presse