En août 2001, Sébastien Ouellet a commencé à faire ce qu’il aime le plus faire au monde : enseigner.

Il s’en souvient, c’était le cours Physique 534.

Seize ans plus tard, la vie – qui peut être vache – l’a jeté dans la sécheuse pour un grand cycle de terreur… Cancer.

C’était en 2017. Sébastien Ouellet avait 47 ans. Cancer de la prostate, agressif. Métastases. Traitements tout aussi agressifs, et débilitants.

L’enseignant a pris un congé de maladie : « Ça a fait exploser ma vie, me dit-il. Un vrai cauchemar. Tout ce que tu vois, au bout du tunnel, c’est tes enfants… »

Le congé de maladie a duré sept ans.

Sébastien est revenu au travail au début du mois d’avril.

La maladie, elle, est encore en lui, assommée par la médication.

Le 2 avril dernier, Sébastien Ouellet a donc remis les pieds à l’école secondaire du Mistral de Mont-Joli, son école.

Son école, oui, mais le temps avait passé : des collègues avaient pris leur retraite, changé d’école, de job…

Quel accueil lui réserverait-on ?

Le prof Ouellet avait donc enfilé une petite armure invisible : « J’avais mis mes émotions au neutre, j’avais fermé le breaker. Je voulais pas me faire de fausse joie. Mais en mettant le pied dans l’école, ça a été comme si je me réveillais d’un cauchemar. Mes anciens collègues m’ont accueilli à bras ouverts, ils étaient contents, chaleureux, ça m’a tellement fait chaud au cœur… »

Retour progressif, pour la première semaine. Pas d’enseignement, préparation et acclimatation.

Ce 2 avril, Sébastien est allé dans un labo, dans son élément. Par les fenêtres, il a vu le fleuve. C’est con, Sébastien a grandi avec le fleuve, il vient de Saint-Gabriel, dans le Mont-Joli métropolitain, il a toujours vu le fleuve… Mais ce matin-là, il l’a remarqué.

« Des labos, on a une super belle vue du fleuve. J’avais jamais vraiment pris le temps de m’arrêter à cette vue : je l’ai regardé pendant deux minutes. Le ciel était bleu, j’ai pris le temps de savourer cette beauté-là, chose que je ne faisais jamais avant… J’ai ressenti une ivresse : c’est ben hot que je fasse ce travail-là… »

Il y a une petite pause, une nanoseconde pendant laquelle j’anticipe exactement ce que Sébastien Ouellet finit par me dire parce qu’ils disent tous ça, à peu de choses près, ceux qui ont fixé la mort dans les yeux : « Tu savoures tellement la vie, après. Y a rien qui est pareil. Y a la vie avant, pis la vie après. »

C’est Sophie Gagnier qui m’a écrit pour que je parle du nouveau prof de sciences de son fils, Thomas Carbonneau. Elle m’a rapporté que le prof en question (elle n’avait que le prénom, Sébastien) avait raconté son cancer, son absence de sept ans. Puis qu’après, il avait captivé les jeunes, par son approche, ses anecdotes de sciences et de vie…

J’ai retrouvé le prof. Sébastien Ouellet était suspicieux, il ne trouvait pas qu’il y avait grand-chose à raconter. « J’ai donné un cours comme je le fais toujours », je le sentais sur ses gardes, je me sentais un peu con avec mes questions, mais on a commencé à jaser, et voilà…

Ça donne cette chronique sur le ciel qui, des fois, redevient bleu.

Parlez-moi de l’enseignement, Sébastien…

Un enseignant, sa job, c’est d’allumer des lumières. Je dis tout le temps : “Donnez-moi une craie pis un tableau, c’est tout ce dont j’ai besoin pour faire ma job !”

Sébastien Ouellet

Il a d’ailleurs convaincu ses jeunes, en cette dernière ligne droite d’année scolaire, de prendre des notes avec un crayon, sur du papier : « Je leur dis que ça va les aider au cégep, à l’université : on retient mieux la matière quand on l’écrit à la main. »

Et les jeunes ont embarqué, ils prennent des notes à la main.

(Parlant de notes manuscrites, le 2 avril, jour de son retour, une ancienne élève devenue prof, Amélie Simard, lui a présenté une pile de papiers : ses notes du tout premier cours de physique que Sébastien avait donné, en 2001… Il a braillé comme un enfant.)

Nous avons fini par passer au « tu », et j’ai dit à Sébastien : Parle-moi de ton cours Sciences et technologie de secondaire III…

« On voit de la physique, de la chimie, c’est beaucoup axé sur l’anatomie. Y a de la techno, aussi, tsé, c’est important, la techno. C’est concret. Tu vas chercher une autre clientèle d’élèves qui sont moins faits pour être assis sur une chaise. Tu te ramasses à l’atelier pis eux autres, ce sont des bêtes ! On fait de l’ingénierie, dans le fond. C’est important de leur allumer des lumières dans la tête, eux autres aussi ! Je dis toujours : “Tu feras pas voler un poisson !” Y en a qui sont faits pour voler, d’autres pour nager. Faut pas que le cadre soit trop strict. On arrive à l’atelier, ça bouge, je suis obligé de les ralentir ! »

Il insiste pour me raconter une anecdote à propos d’allumer des lumières dans la tête des élèves, pour montrer qu’on ne sait jamais ce que cette lumière va éclairer…

Fin 2017, me dit-il, la chimio avait tué son système immunitaire. Il a dû passer une semaine en isolement à l’hôpital de Rimouski, seul, dans une chambre, faible et en souffrance.

L’infirmière qui le soignait s’appelait Marie-Josée Migneault…

Une de ses anciennes élèves, en anatomie. « C’est comme si la vie me rendait le travail que j’avais fait. »

Après l’entrevue, Sébastien m’a contacté pour que je mentionne ici trois personnes qui l’ont aidé à passer à travers ces sept années de misère : les médecins Vincent Fradet et Marie-Claude Duchesne.

Et son ex-blonde, Nancy L’Italien.

Parle-moi de ton premier cours, Sébastien…

« Comme si j’enfilais mes vieilles pantoufles ! Même mes vieilles jokes plates sont revenues, c’était un peu comme recommencer le vélo, ça s’oublie pas. L’heure est passée en 60 secondes, on dirait. J’avais préparé trop de matière. Et j’ai raconté mon histoire aux jeunes, ils ont accroché… »

Pause, ici, pour que je cite Sophie Gagnier, la mère de Thomas Carbonneau, à propos de ce cours : « Mon fils est revenu de l’école avec des étoiles dans les yeux. »

À la fin de la journée, c’est pas mêlant, Sébastien Ouellet ne voulait pas sortir de l’école.

Après sept ans à souffrir, à penser mourir, il se sentait utile.

Et vivant.

« Je me suis dit : “Si je suis pour vivre, si le Ciel me donne encore quelques années, je vais pas regarder le plafond.” J’ai décidé de revenir enseigner et ça a été le plus beau move que j’ai fait. Pourtant, y a-tu de quoi de plus banal que ça ? Je rentre travailler ! C’est comme si je me réveillais d’un long cauchemar. Je fais la plus belle job du monde. Je communique mon savoir. Je prépare les jeunes pour leur avenir. »