Il y a deux semaines, après des jours de furetage compulsif sur Google Flights, j’ai réussi à mettre la main sur des billets d’avion à bon prix pour l’Europe.

Une aubaine, en fait.

Je ne suis pas fier de ce que j’ai fait ensuite. Je me suis tout de suite connecté au géant du web Amazon pour dénicher des guides de voyage, idéalement les moins chers possibles.

J’ai dû être distrait. La transaction ne s’est jamais faite. Tant mieux : ce qui s’est passé quelques heures plus tard a été un bon rappel à l’ordre.

En me baladant dans la rue Ontario Est, je me suis arrêté dans une boutique devant laquelle j’étais passé des centaines de fois, sans jamais y prêter attention. Une caverne d’Alibaba, cachée dans le champ de ruines commercial qu’est devenu le Quartier latin.

J’ai eu droit à un voyage dans le temps. Fin  1990, début 2000.

Dans le magasin Aux quatre points cardinaux, il y a un mur entier dédié aux globes terrestres. Des gros, des petits, des lumineux, des luxueux.

Une autre portion est réservée aux cartes géographiques : on en trouve plus de 10 000, de toutes les régions et tous les fonds marins du monde. On peut les plastifier ou les laminer.

Il y a aussi des guides de voyage. Les mêmes que sur Amazon, à un prix assez semblable.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Louis Gobeille, propriétaire du magasin Aux quatre points cardinaux

J’ai été agréablement surpris de devoir faire la file à la caisse enregistreuse, derrière trois ou quatre clients, les bras bien chargés. Le climat d’affaires est loin d’être facile, m’a dit le propriétaire Louis Gobeille, mais les clients continuent de venir en boutique pour vivre une « expérience ».

Les petits commerces du genre sont des joyaux de plus en plus menacés.

À Montréal, dans les rues Saint-Denis ou Sainte-Catherine Est, les vitrines placardées et les pancartes « À louer » se multiplient.

Lorsqu’un nouvel occupant emménage, à un loyer plus élevé que le précédent, c’est souvent une succursale d’une chaîne étrangère. À l’angle de Saint-Denis et Mont-Royal, dans ce qui était autrefois l’hypercentre de la coolitude du Plateau, trois des quatre coins de l’intersection sont maintenant occupés par des franchises de fast-food : McDonald’s, A & W et Thaï Express.

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Les succursales de restauration rapide se multiplient, comme ici, à l’angle de Saint-Denis et Mont-Royal.

Déprimant (et engraissant).

Les Montréalais ont encore l’embarras du choix, malgré toutes les fermetures.

Mais un peu partout au Québec, dans plusieurs villages et petites municipalités, c’est la crise. Les fermetures s’additionnent au point de transformer des régions entières en déserts commerciaux.

Une situation dramatique pour le tissu social, au-delà des impacts économiques criants.

Des données de l’Institut de la statistique du Québec, relayées par Le Devoir, illustrent l’ampleur du problème. La proportion de municipalités de moins de 1000 habitants qui n’ont plus aucun commerce de détail a doublé entre 2006 et 2022.

Oui : doublé !

Sur 458 villages, 95 n’ont plus un seul magasin, ne serait-ce qu’un dépanneur. C’est une proportion de 20,7 %, contre 11,6 % en 2006. Énorme dégradation.

Les régions où on retrouve le plus de bourgades sans aucun commerce sont le Bas-Saint-Laurent (17), l’Estrie (15) et l’Abitibi-Témiscamingue (13). Ça fait bien des gens qui doivent parcourir des kilomètres en voiture pour se procurer une pinte de lait ou des Tylenol.

Lorsqu’ils en ont les moyens, physiques ou financiers.

Dans une lettre ouverte récente à La Presse, Christian Savard, président de l’organisme Rues Principales, a qualifié la situation de « catastrophe au ralenti pour les collectivités québécoises et leur population ».

Lisez la lettre «  Le commerce de proximité souffre »

Je suis 100 % d’accord avec lui.

Il expose des moyens concrets qui pourraient être pris par les autorités pour alléger un peu le fardeau des petits commerçants. Les aider à naître et surtout à survivre. Plusieurs aides financières et mesures réglementaires, provinciales ou municipales, sont sous-utilisées, note-t-il.

Il faut aussi regarder nos habitudes de consommation, qui nuisent aux commerces de proximité. Et à cet égard, je plaide coupable.

Même si j’ai déjà « mon » quincaillier, « mon » pharmacien de quartier, « mon » boulanger, je me tourne trop souvent vers la facilité des plateformes d’achat en ligne ou vers les économies offertes par les grandes surfaces de ce monde. C’est humain, c’est logique. La vie coûte cher, le temps manque.

L’autoflagellation, cela dit, ne mène jamais à rien de constructif. On ne peut pas non plus retourner en arrière et ignorer les avancées technologiques en matière de consommation.


Mais on peut essayer de multiplier les petits achats, à gauche et à droite, pour encourager nos commerçants locaux – dans les villes et quartiers où ils existent encore. Chaque transaction peut faire une différence dans leurs marges souvent minuscules.

Une différence entre leur survie et leur disparition.