J’ai un scoop pour vous : les rues de Montréal sont propres.

Ce n’est pas une blague. Je me suis longuement promené cette semaine dans plusieurs quartiers : centre-ville, Village, Vieux-Montréal. Très peu de déchets sur la chaussée, poubelles municipales vidées : j’ai presque ressenti une émotion.

On a même vu Valérie Plante, râteau à la main, racler des feuilles mortes mercredi dans un parc de l’arrondissement de Ville-Marie. Un coup publicitaire pour la mairesse, doublé d’une demande pour les citoyens : ramassez vos cochonneries !

Message lancé, mais sera-t-il entendu ?

Et surtout, la Ville pourra-t-elle maintenir un tel état de salubrité à longueur d’année ?

On verra pour la discipline des Montréalais, insoumis notoires. Mais pour ce qui est de la propreté générale de la métropole 12 mois par année, il reste encore un bon bout de chemin à parcourir.

Après mes balades dans le bas de la ville, retour à la réalité jeudi dans mon quartier, un peu plus au nord. C’était « jour de vidanges » et ça paraissait. Il y avait un peu partout des sacs éventrés, des poubelles de rue débordantes et des objets épars sur la chaussée.

Au travers de ce fatras matinal, de petits véhicules municipaux de nettoyage sillonnaient les trottoirs. J’ai vu des travailleurs délicats, attentionnés. Mais dans bien des cas, ils ne faisaient que repousser un peu plus loin les détritus orphelins.

C’était aussi l’une des deux journées de la semaine où les camions de balayage prennent d’assaut les rues, avec leurs brosses rotatives.

Cet exercice me fascine (et me décourage) chaque fois : le bitume est tellement défoncé que la saleté semble seulement s’enfoncer encore plus loin dans les crevasses. À quoi bon ?

Il y a beaucoup d’efforts et d’argent public investis dans le nettoyage à Montréal, personne ne peut le nier. La Ville a avancé son grand ménage en raison du printemps hâtif et les résultats se voient déjà.

Pour le seul arrondissement de Ville-Marie, qui inclut le centre-ville, le budget annuel dédié à la propreté atteint 23 millions de dollars ! Plus de 250 employés sont affectés à cette tâche. Ils travailleront maintenant 12 mois par année, a annoncé la Ville cette semaine.

C’est un progrès appréciable, mais des mesures de même ampleur devraient être appliquées dans toute la métropole, à longueur d’année. Les Montréalais, qui viennent de voir leur fardeau fiscal bondir de 5 %, faut-il le rappeler, méritent la propreté 365 jours par année.

Les chutes de neige compliquent la vie des cols bleus, bien sûr, mais elles ont le dos large pour justifier le laisser-aller sanitaire pendant les mois les plus froids. Il ne devrait pas y avoir de saisons « propres » et de saisons « sales ».

Certains gestes concrets, comme ceux proposés par l’opposition à l’hôtel de ville, devraient être envisagés. Par exemple : installer davantage de poubelles sur rue. De préférences avec un couvercle, plutôt qu’ouvertes, pour éviter que les déchets virevoltent au moindre coup de vent1.

Et aussi : les vider plus souvent.

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

« Il y avait un peu partout des sacs éventrés, des poubelles de rue débordantes et des objets épars sur la chaussée », écrit l’auteur.

On a vu un contre-exemple tout récent, aux abords du canal de Lachine, dans le Sud-Ouest. Sur un tronçon d’environ deux kilomètres, Parcs Canada, propriétaire des lieux, a retiré sans préavis une trentaine de poubelles, a révélé CBC News la semaine dernière2. Il n’y en a plus aucune.

Raison invoquée par l’organisme fédéral sur sa page Facebook ? « Cette initiative vise à responsabiliser les citoyens quant à la gestion des déchets destinés aux sites d’enfouissement. Elle vise aussi à arrêter le dépôt des déchets domestiques dans les conteneurs destinés aux visiteurs. »

Parcs Canada « prépare » en ce moment une campagne de sensibilisation… après avoir retiré les poubelles. C’est ce qu’on appelle faire les choses dans le désordre.

On retrouve un peu le même problème dans le reste de Montréal, je trouve.

Valérie Plante a bien raison de demander aux citoyens de faire un effort pour ramasser leurs déchets et d’éviter de déposer leurs ordures ménagères dans les poubelles de rue. Beaucoup font preuve d’un manque de civisme déplorable jour après jour. C’est vrai.

Mais j’y reviens : la Ville et ses 19 arrondissements devraient faire preuve d’exemplarité pour susciter l’émulation. Les demandes de la mairesse auraient plus de poids si les Montréalais trouvaient eux-mêmes leur ville propre, en premier lieu.

Car la notion de « perception » est capitale dans ce dossier.

Metz, une ville française reconnue pour son programme de salubrité robuste, a mené une expérience révélatrice en 2013 dans deux de ses rues. Les chaussées avaient été bien nettoyées, mais tout le reste laissait une impression de saleté aux participants.

Au banc des coupables : le mobilier urbain déglingué, les graffitis et autres affiches collées un peu partout, les vieilles gommes à mâcher aplaties, les vitrines de magasins abandonnées, la crasse incrustée le long des trottoirs… Tous ces éléments combinés contribuaient au sentiment de malpropreté, a-t-on conclu.

On retrouve aujourd’hui la même situation dans plusieurs secteurs de Montréal, à cause entre autres de la prolifération des graffitis et du délabrement des chaussées et trottoirs.

Même si on nettoie, ça a l’air sale.

Le système d’enlèvement des ordures mériterait aussi d’être réformé. Oui, Montréal investit dans le recyclage et le compostage, et oui, il importe de changer nos habitudes. Mais d’ici à ce qu’on vive dans une hypothétique société « zéro déchet », comment se fait-il qu’on tolère encore le dépôt de sacs poubelles directement sur les trottoirs ?

Ils finissent souvent par être éventrés. Et comme l’indiscipline règne, il y en a toujours qui traînent un peu partout, jour de collecte ou pas.

D’autres métropoles ont sévi à cet égard. New York oblige depuis le mois dernier les commerçants à utiliser des poubelles fermées, sous peine d’amende3. Les résidants des immeubles de neuf logements et moins seront soumis à cette règle dès l’automne prochain. Cette décision découle de la prolifération des rats – un phénomène qui prend aussi de l’ampleur chez nous.

On a beau fantasmer sur le Japon et d’autres contrées impeccables en matière de civisme sanitaire, nous ne sommes pas rendus là. Il faudra beaucoup d’éducation et de discipline municipale pour instiller de nouvelles habitudes chez les Montréalais. Une étape à la fois.

Mais déjà, la question de la (mal)propreté se dessine comme l’un des enjeux centraux des élections de novembre 2025. Au conseil municipal de cette semaine, lors d’un échange corsé, Valérie Plante a accusé un élu de l’opposition de dresser un portrait « sombre » de la situation.

Son administration a encore 18 mois pour tenter de prouver le contraire.

1. Lisez « L’opposition demande des gestes concrets pour la propreté » 2. Lisez « There's something different about Montreal's Lachine Canal: no more trash cans » (en anglais) 3. Lisez « Les poubelles sont maintenant obligatoires à New York »