Le logement est annoncé comme ça, sur le site d’Airbnb : « Ce n’est pas la maison de votre grand-mère. » Vous venez ici pour faire le party. Le gros party. Il y a une table de poker, un vert de golf, une table de ping-pong, une salle de jeux vidéo, une chaîne stéréo démentielle, des lits pour accommoder 14 fêtards, bref, de quoi écœurer vos voisins jusqu’aux petites heures du matin.

Et pour les écœurer, vous les écœurerez, vous et tous ceux qui défileront après vous dans cet antre du plaisir, n’en doutez pas un instant.

Pensez-y, c’est une vraie aubaine. Pour 1000 $ la nuit, vous festoierez au cœur d’un paisible quartier résidentiel, à Verdun. Vous crierez, danserez et chanterez à tue-tête sur la terrasse. En prime, vous pousserez la voisine à bout, elle qui vient tout juste d’avoir un bébé et qui manque déjà cruellement de sommeil…

Tout ça, au nez et à la barbe des autorités !

Parce que, non, le propriétaire de cette chic résidence, Karim-Olivier Kamal, n’a pas le droit de vous la louer. Verdun interdit la location commerciale de logements à des touristes sur l’ensemble de son territoire. Remarquez, à Verdun comme ailleurs, beaucoup de propriétaires le font quand même, discrètement.

Mais quand l’un d’eux est aussi peu subtil que M. Kamal – qui a non seulement converti la maison de grand-maman en lieu de débauche, mais qui a, en plus, le culot d’en faire la promotion en toutes lettres sur le site d’Airbnb –, il me semble que ça devrait être simple, pour les autorités municipales, de mettre fin à son lucratif manège.

Pensez-vous. Tout ce que l’arrondissement de Verdun a pu faire, c’est remettre à M. Kamal un constat d’infraction de 2500 $. L’équivalent de deux jours et demi de location. Une petite tape sur les doigts. Toute petite. À peine un frôlement. Presque une caresse.

Rien n’a changé. Dans une enquête publiée vendredi, ma collègue Isabelle Ducas a exposé les stratagèmes utilisés par des propriétaires pour contourner les règles et offrir des locations touristiques illégales⁠1. Un jeu d’enfant. Certains d’entre eux, par exemple, se prétendent propriétaires de deux résidences principales. C’est absurde. Mais le plus absurde, c’est que ça fonctionne !

Depuis que Québec a serré la vis aux propriétaires, l’an dernier, le nombre de locations touristiques offertes sur la plateforme Airbnb a… augmenté, passant de 30 000 à 31 600 dans l’ensemble du Québec. Avouez que c’est tout un coup de barre.

Tout ça, un an après l’incendie du Vieux-Montréal qui a tué sept personnes, dont six dans des logements affichés en toute illégalité sur la plateforme Airbnb.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

L’immeuble de la place D’Youville, dans le Vieux-Montréal, où un incendie a fait sept morts en mars 2023

Une année s’est écoulée depuis que les autorités municipales et provinciales nous ont assurés, la larme à l’œil et la main sur le cœur : ça suffit, le Far West des Airbnb. Il faut que ça change. Plus jamais, une tragédie pareille !

Ça n’a pas changé.

En pleine crise du logement, des spéculateurs s’affichent toujours autant sur Airbnb et d’autres plateformes de location. Sans gêne. Sans retenue.

L’escouade mise sur pied par la Ville de Montréal après l’incendie avoue son impuissance. En huit mois, elle a remis 42 constats d’infraction. C’est peu, considérant l’ampleur du phénomène. Un seul logement Airbnb a été fermé pour réintégrer le marché locatif.

La Ville admet d’ailleurs son échec à faire respecter ses propres règlements. Malgré ses soupçons, il lui est impossible de prouver qu’un propriétaire ment lorsqu’il déclare qu’un logement en location est sa résidence principale. C’est Revenu Québec qui détient cette information-là. Et il la garde, jalousement.

La mairesse Valérie Plante évoque « la maison des fous ». Au cabinet de la ministre du Tourisme, Caroline Proulx, on persiste à dire que « les municipalités ont déjà tous les outils nécessaires pour appliquer leur réglementation ». Ce n’est manifestement pas le cas.

Je l’écrivais déjà il y a un an : les autorités doivent prendre leurs responsabilités et cesser de se renvoyer la balle⁠2. Elles doivent adopter des mesures autrement musclées pour forcer les plateformes de location, et ceux qui s’y affichent, à respecter la réglementation locale.

Ça se fait ailleurs. À San Francisco, à Barcelone, ça fonctionne. Pourquoi pas au Québec ? Il suffit de se donner les moyens pour y arriver. Imposer des sanctions véritablement dissuasives. Et permettre aux différentes instances de collaborer un peu entre elles, que diable.

Si rien ne bouge, un procès pourrait changer la donne : celui de l’action collective intentée par des proches des victimes de l’incendie du Vieux-Montréal contre le propriétaire de l’immeuble incendié, contre le gérant et contre Airbnb.

Jusqu’ici, l’entreprise américaine n’a jamais été tenue responsable des blessures, agressions ou décès survenus dans un logement loué sur sa plateforme. Elle a dépensé des millions en règlements à l’amiable, rapportait le magazine Maclean’s dans une récente enquête⁠3.

Cette fois, ça pourrait être différent. En octobre, les avocats des plaignants ont ajouté la Ville de Montréal à la liste des défendeurs, estimant qu’elle avait échoué à faire respecter ses propres réglementations auprès d’Airbnb.

Il sera intéressant de suivre ce procès, porté par des parents endeuillés mais déterminés à exiger des comptes. Ses répercussions pourraient se faire sentir bien au-delà des frontières de Montréal.

1. Lisez notre dossier « Plus d’Airbnb malgré un tour de vis » 2. Lisez la chronique « Pour Charlie », d’Isabelle Hachey 3. Lisez un article du magazine Maclean’s (en anglais)