Dans le milieu communautaire, beaucoup dénoncent le « coup de vis » trop timide de Québec

Faux numéros d’enregistrement ou numéros utilisés pour la mauvaise adresse, prête-noms prétendant louer leur résidence principale, plusieurs résidences principales déclarées par la même personne, logement loué sur Airbnb par un locataire sans que le propriétaire ait donné son accord… Les stratagèmes pour contourner la nouvelle loi provinciale sur les locations touristiques illégales sont multiples et semblent entraîner peu de conséquences.

« La nouvelle législation n’a absolument rien changé sur le terrain », dénonce Cédric Dussault, porte-parole du Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ), qui souligne, en pleine crise du logement, les « ravages » causés au parc locatif par Airbnb.

Il note d’ailleurs que le nombre d’annonces publiées sur la plateforme en ligne a augmenté depuis l’année dernière, au lieu de diminuer. Le RCLALQ documente sur un site web le nombre de logements offerts en location sur Airbnb, tout comme le fait le site américain Inside Airbnb.

Nombre d’annonces sur Airbnb

Montréal

  • Août 2023 : 8630 logements
  • Aujourd’hui : 8807 logements

Province

  • Août 2023 : près de 30 000 logements
  • Aujourd’hui : 31 600 logements

Sources : abasairbnb.io et insideairbnb.com

En mai 2023, la ministre du Tourisme, Caroline Proulx, affirmait « donner un coup de vis qui est très sérieux » en déposant une nouvelle loi obligeant les plateformes de location touristique à s’assurer que leurs annonces respectent la loi provinciale et les règlements municipaux, et que leurs numéros d’enregistrement sont conformes.

Les numéros d’enregistrement sont distribués par la Corporation de l’industrie touristique du Québec (CITQ), qui demande un avis de conformité émis par la municipalité, ainsi qu’une preuve que la location touristique est permise par le propriétaire d’un logement ou le syndicat de copropriété, le cas échéant.

Des failles

Or, ces exigences ne sont pas toujours respectées, selon une enquête de La Presse.

À Montréal, par exemple, plusieurs arrondissements ne permettent la location touristique que pour des particuliers qui veulent louer à l’occasion leur résidence principale, comme Verdun et Mercier–Hochelaga-Maisonneuve. D’autres ne permettent la location touristique commerciale que sur des artères principales (certains tronçons des rues Sainte-Catherine, Saint-Denis et Saint-Laurent, ou la Plaza Saint-Hubert, par exemple).

Cela n’empêche pas des locations commerciales de s’afficher un peu partout.

À Verdun, une maison pour 14 personnes, où se déroulent des tournois de poker, a été louée sur Airbnb alors que le numéro d’enregistrement auprès de la CITQ qu’elle affiche correspond à une adresse du Vieux-Montréal et que l’arrondissement ne lui a jamais accordé d’avis de conformité.

Près du Village, pour un immeuble où au moins trois logements sont loués à des touristes, des avis de conformité ont été accordés par l’arrondissement de Ville-Marie à une même personne déclarant avoir deux résidences principales.

La loi exige aussi que l’exploitant d’une résidence de tourisme, qu’elle soit ou non dans une résidence principale, affiche son certificat d’enregistrement auprès de la CITQ à l’entrée principale. D’après nos observations, les certificats ne sont pratiquement jamais visibles.

Un problème qui perdure

Ces entorses à la loi enragent Éric Michaud, coordonnateur au Comité logement Ville-Marie, qui reçoit de nombreuses plaintes au sujet des locations illégales sur Airbnb.

C’est scandaleux qu’en pleine crise du logement on laisse des appartements être utilisés à des fins spéculatives. En plus, ça affecte la quiétude des quartiers. S’il avait à cœur l’intérêt public, le gouvernement prendrait de vraies mesures pour empêcher l’utilisation frauduleuse de logements pour la location touristique.

Éric Michaud, coordonnateur au Comité logement Ville-Marie

Selon M. Michaud, le gouvernement a agi dans l’urgence l’année dernière, après l’incendie du Vieux-Montréal qui a coûté la vie à sept personnes, dont certaines avaient loué des logements par l’entremise d’Airbnb. « Mais de notre point de vue, ça n’a pas réglé le problème », dit-il.

La Ville de Montréal, qui a mis sur pied une escouade spéciale pour traquer les Airbnb illégaux dans les arrondissements de Ville-Marie, du Plateau-Mont-Royal et du Sud-Ouest, demande depuis plusieurs mois que le gouvernement du Québec lui donne accès à des données sur les résidences principales.

Cela éviterait les situations où une personne prétend qu’un logement loué à des touristes est sa résidence principale, alors que ce n’est pas le cas, disent les élus montréalais.

« La maison des fous »

« L’enjeu, c’est qu’on n’est pas capables de faire respecter nos propres règles. C’est la maison des fous », a lancé la mairesse Valérie Plante le 9 avril dernier au conseil d’arrondissement de Ville-Marie, en réponse à un citoyen se plaignant de locations touristiques dans sa rue.

« Il faut avoir une action concertée. On n’a pas accès à la base de données de Revenu Québec pour coupler avec les informations qu’on reçoit lorsque les gens demandent un avis de conformité », explique en entrevue Robert Beaudry, responsable de l’urbanisme au comité exécutif de Montréal et conseiller municipal du district Saint-Jacques, dans Ville-Marie.

Au cabinet de la ministre du Tourisme, Caroline Proulx, on répond encore que « les municipalités ont déjà tous les outils nécessaires pour appliquer leur réglementation ».

La nouvelle loi est efficace, bien qu’elle n’ait pas encore un an, et a notamment provoqué une hausse des enregistrements, affirme l’attachée de presse de la ministre, Brigitte Roussy.

« Cela dit, toutes les lois sont perfectibles et il y aura toujours des gens mal intentionnés pour essayer de les contourner. La Loi visant à lutter contre l’hébergement touristique illégal n’y échappe pas. C’est la raison pour laquelle on s’est dotés de tous les leviers pour réagir », ajoute-t-elle.

Ce qu’il faut pour exploiter un Airbnb au Québec

Pour s’enregistrer auprès de la Corporation de l’industrie touristique du Québec, il faut :

  • Un document émanant des autorités municipales démontrant que l’exploitation de l’établissement d’hébergement touristique est conforme à la réglementation d’urbanisme ;
  • avant d’émettre l’avis de conformité, si la demande concerne une résidence principale, la municipalité demande une preuve d’adresse ou une déclaration sous serment qu’il s’agit bien de la résidence principale ;
  • le titre de propriété, la facture de taxes municipales ou le contrat de location ;
  • une preuve d’assurance responsabilité civile d’au moins 2 millions ;
  • une copie des dispositions du contrat de location, ou de la déclaration de copropriété si l’établissement se trouve dans un immeuble détenu en copropriété divise, permettant l’exploitation de l’établissement à des fins d’hébergement touristique ;
  • des photographies permettant d’identifier l’établissement (une de l’extérieur et une autre de l’intérieur).