Sans savoir qu’il parlait avec un agent d’infiltration, un riche promoteur immobilier s’est vanté d’avoir à sa solde un gestionnaire corrompu à la Ville de Montréal. Son « gars » aurait ainsi manœuvré pour passer l’éponge sur la transformation illégale d’un immeuble résidentiel.

Ce qu’il faut savoir

  • L’ex-patron des permis et inspections de l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve est jugé pour « abus de confiance ».
  • Sadek Lazzouzi aurait manœuvré à l’avantage d’un promoteur immobilier qui n’avait pas respecté les règlements municipaux.
  • Le promoteur a confié à un agent d’infiltration que Sadek Lazzouzi était « [son] gars » à la Ville.

Un agent d’infiltration se fait passer pour un fonctionnaire corrompu de la Ville de Montréal. Sa cible : l’homme d’affaires Tinel Timu, un ténor de l’immobilier à Montréal. Le policier enregistre la conversation.

« Sadek, ça fait 10 ans qu’on travaille ensemble. Il est capable de tout faire pour de l’argent. Il vient justement chez nous ce soir pour ramasser des dossiers qu’il m’a réglés », se targue l’homme d’affaires.

PHOTO TIRÉE DU SITE WEB DU CONSULAT DE ROUMANIE À MONTRÉAL

Le promoteur immobilier Tinel Timu

Ces propos ont été admis en preuve lundi à l’ouverture du procès de Sadek Lazzouzi au palais de justice de Montréal. L’homme de 54 ans est accusé d’abus de confiance par un fonctionnaire public. Il avait été arrêté par l’Unité permanente anticorruption (UPAC) en septembre 2022. Il était patron de la division des permis et inspections de l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve.

Selon la théorie de la poursuite, Sadek Lazzouzi serait illégalement intervenu en faveur du promoteur immobilier Tinel Timu – assassiné en avril 2023 – pour fermer un dossier de non-conformité aux règlements municipaux. À l’époque, Tinel Timu possédait plus de 700 logements résidentiels.

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Au cœur du procès : l’immeuble du 2735, avenue Bourbonnière, près du Stade olympique. En 2015, une entreprise de Tinel Timu acquiert l’immeuble de huit logements. Tous les locataires sont évacués en raison de dommages causés par la démolition d’un immeuble voisin. Des travaux de rénovation sont autorisés par l’arrondissement en décembre 2016.

En visitant les travaux, l’inspecteur de l’arrondissement Renaud Allard s’étonne de voir 16 chauffe-eau, 16 panneaux électriques et 16 sonnettes, alors que l’immeuble doit compter huit logements. « Ça devenait un 16 logements », résume-t-il. Or, cette transformation était interdite par les règlements de zonage.

Une fois les travaux terminés en 2018, l’inspecteur constate que les correctifs n’ont pas été effectués. « Il y avait 16 numéros de porte », résume-t-il.

Clore le dossier sans correctifs apportés

L’arrondissement émet un constat d’infraction pour non-conformité, lequel est contesté par les propriétaires. En novembre 2021, la cour municipale a donné raison à l’arrondissement.

Entre alors en jeu Sadek Lazzouzi, devenu récemment patron des inspections de l’arrondissement. Au procès, Renaud Allard raconte que l’accusé lui a demandé en janvier 2022 de « fermer » le dossier du 2735 Bourbonnière, même si les correctifs n’avaient pas été effectués à la suite du jugement.

« Il jugeait que la charge de travail d’inspection [dans l’arrondissement] était importante. Il n’y avait pas d’aspect sécuritaire », a témoigné M. Allard.

Selon son expérience, il faut que les irrégularités soient corrigées pour clore un dossier.

J’avais un malaise. Je jugeais [qu’il n’y] avait pas lieu de fermer le dossier.

Renaud Allard, inspecteur de l’arrondissement Mercier–Hochelaga-Maisonneuve au moment des faits

Néanmoins, il a obtempéré et a fermé le dossier.

Selon des actes notariés consultés par La Presse, Tinel Timu a acheté l’immeuble pour 420 000 $ en 2015 et l’a revendu pour 2,5 millions de dollars en août 2021.

« Faut que je donne le feu vert pour qu’il parle à quelqu’un »

L’UPAC n’a pas lésiné sur les moyens d’enquête. Mis en filature, l’accusé a été vu à la résidence de Tinel Timu en février 2022. Ce dernier a aussi communiqué avec l’accusé à deux reprises, admettent les parties.

Un agent d’infiltration s’est fait passer pour un fonctionnaire corrompu pour approcher Tinel Timu en décembre 2021. Il portait alors un dispositif d’écoute discret. L’agent d’infiltration avait visiblement gagné la confiance de Tinel Timu, puisque ce dernier lui a dit que le dossier « Bourbonnière » était « sous contrôle ».

On est passés à la cour. On a perdu, lui, il va effacer le dossier.

Tinel Timu, promoteur immobilier

Le promoteur immobilier a dépeint Sadek Lazzouzi comme étant « [s]on gars ». Il invitait alors l’agent d’infiltration à passer voir son complice à son bureau. « Sadek, il est comme ça, il faut que je lui donne le feu vert pour qu’il parle à quelqu’un », disait Tinel Timu.

« Après ça, vous parlez ensemble de tous les dossiers que vous voulez. Arrangez-vous comme vous voulez. Lui, il t’en donne, toi, tu lui en donnes », expliquait Tinel Timu.

En février 2022, l’agent d’infiltration rencontre Sadek Lazzouzi dans un stationnement du Jardin botanique et lui demande ce qu’il peut faire pour un constat de 12 500 $ pour une démolition.

« Sadek lui mentionne que la meilleure chose à faire est de le consulter ou lui dire à l’avance. Lorsque c’est rendu trop gros, ça ne passe pas inaperçu », selon les admissions.

L’accusé est arrêté quelques minutes plus tard.

Le procès se poursuit ce mardi devant le juge Salvatore Mascia. MSarah-Audrey Daigneault représente le ministère public, alors que MRené Verret défend l’accusé.

Une troisième coaccusée, Elena Cristina Abrudan, qui travaillait avec Tinel Timu, a déjà plaidé coupable à un chef d’acte de corruption. En 2021, elle a insisté pour remettre une enveloppe d’argent à un inspecteur de la Ville qui avait relevé plusieurs pépins pendant des travaux sur un édifice de M. Timu. Quand l’inspecteur a découvert 1000 $ dans l’enveloppe, il a tout de suite informé son supérieur. C’est ce qui a lancé l’enquête de l’UPAC.