Un ex-gestionnaire de la Ville de Montréal accusé d’abus de confiance pour avoir favorisé un ténor de l’immobilier affirme être devenu ami avec celui-ci en le croisant dans un Costco de Laval. Et s’il l’a appelé le jour même d’un jugement défavorable, c’est une coïncidence, selon l’accusé. Une défense qui a laissé le juge perplexe.

« [Sadek Lazzouzi] n’était pas tellement convaincant », a asséné le juge Salvatore Mascia, pendant la plaidoirie de la défense. « Il a une réponse pour tout. Il a des réponses faciles pour tout », a renchéri le magistrat.

C’était au tour de Sadek Lazzouzi de présenter sa défense mardi au palais de justice de Montréal. L’homme de 54 ans est accusé d’abus de confiance par un fonctionnaire public. Il avait été arrêté par l’Unité permanente anticorruption (UPAC) en septembre 2022.

Selon la Couronne, Sadek Lazzouzi est illégalement intervenu en faveur du promoteur immobilier Tinel Timu – assassiné en 2023 – pour fermer un dossier de non-conformité aux règlements municipaux. L’accusé était alors patron de la division des permis et inspections de l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve.

Pendant des travaux majeurs, l’immeuble du 2735, avenue Bourbonnière, près du Stade olympique, est passé d’un 8 à un 16 logements. Une transformation pourtant interdite par les règlements de zonage. Tinel Timu a ensuite revendu pour 2,5 millions en août 2021 cet immeuble acheté 420 000 $ en 2015.

Le 12 novembre 2021, la Cour municipale a confirmé le constat d’infraction émis par l’arrondissement en raison de la transformation interdite. Ce jour-là, Sadek Lazzouzi a parlé pendant trois minutes au téléphone avec son ami Tinel Timu. « Ça n’a pas porté sur son constat d’infraction », a juré l’accusé.

Un employé de Sadek Lazzouzi a témoigné lundi que son patron lui avait demandé en janvier 2022 de « fermer » le dossier du 2735 Bourbonnière, même si les correctifs n’avaient pas été effectués à la suite du jugement. « J’avais un malaise », a dit le témoin, qui a obtempéré.

Deux jours plus tard, Sadek Lazzouzi s’est rendu à la résidence de Tinel Timu, à Laval, pour 14 minutes. Les explicitations de l’accusé sur cette rencontre demeurent vagues. « Une drôle de coïncidence. Je me pose des questions », a lancé le juge.

Mardi, Sadek Lazzouzi a répété avoir demandé à son employé de fermer le permis, et non le dossier. Il était nécessaire de clore le permis, puisqu’il était échu et que Tinel Timu n’était plus le propriétaire. Le nouveau propriétaire devait ainsi effectuer une nouvelle demande de permis, selon l’accusé.

« Je n’ai pas fait en sorte que le dossier disparaisse », a soutenu l’accusé.

Un ami rencontré au Costco

Sadek Lazzouzi a connu l’homme d’affaires Tinel Timu, lorsqu’il travaillait dans le secteur de Côte-de-Neiges. Mais c’est en le croisant dans un Costco au début de la pandémie qu’il a sympathisé. « On a échangé nos numéros de téléphone et on est devenus amis », a-t-il témoigné. Dès lors, ils ont discuté au moins une fois par mois. Leurs conjointes ont fait connaissance. Néanmoins, l’accusé assure n’être jamais intervenu dans un dossier de son ami.

Enregistré à son insu par un agent d’infiltration qui se faisait passer pour un fonctionnaire corrompu, Tinel Timu a dépeint Sadek Lazzouzi comme étant « [s]on gars ». Il disait le connaître depuis 10 ans.

« [Lazzouzi] est capable de tout faire pour de l’argent. Il vient justement chez nous ce soir pour ramasser des dossiers qu’il m’a réglés », se targuait Tinel Timu. Selon lui, le dossier Bourbonnière était « sous contrôle ».

« M. Timu, c’est tout un personnage, surtout quand il boit. Il aime se présenter comme un Parrain », a témoigné Sadek Lazzouzi.

Tinel Timu a plus tard mis en contact l’agent d’infiltration avec Sadek Lazzouzi. C’est l’accusé qui a choisi un stationnement pour le rencontrer. Sadek Lazzouzi se serait présenté comme un « facilitateur » et aurait demandé à l’homme de l’identifier comme « Samuel » dans son téléphone.

« Je croyais avoir affaire avec un mafieux. Je voulais juste m’en débarrasser », soutient Sadek Lazzouzi. Il a été arrêté quelques minutes plus tard.

Quand l’agent d’infiltration a offert de l’argent à Sadek Lazzouzi, il a répliqué « non pas tout de suite, je vais voir ce que je vais faire avant, on va reparler à Tinel », a indiqué la procureure de la Couronne MSarah-Audrey Daigneault.

« Je n’ai jamais pris l’argent », a assuré l’accusé.

Dans sa plaidoirie, la défense a insisté sur le fait que le « dossier Bourbonnière » n’avait jamais été fermé, puisque des constats d’infraction ont été remis après les évènements. « Où sont les actes de malhonnête, d’abus ou de corruption ? Il a demandé de fermer le permis. C’est un homme qualifié. Il est compétent », a plaidé MRené Verret.

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La procureure de la Couronne MSarah-Audrey Daigneault

Pour la procureure de la Couronne, la défense soulève un argument « sémantique » en jouant sur les mots « permis » et « dossier ». Alors qu’il était en position d’autorité, Sadek Lazzouzi a demandé de fermer un dossier judiciarisé pour qu’il ne soit plus possible d’en faire le suivi, selon la Couronne. Un comportement « grave et marqué » avec la norme, a plaidé MDaigneault.

De plus, Tinel Timu s’est vanté à un agent d’infiltration « qu’il offrait de l’argent à [M. Lazzouzi] pour qu’il efface des dossiers ». Une relation « inquiétante », selon la Couronne.

Le juge rendra jugement dans les prochaines semaines.