Il était une figure de proue du monde communautaire. Il dirigeait un centre d’aide aux nouveaux arrivants. Mais Gilles Provencher vivait une double vie. Pendant des années, il aurait payé des complices au Mali pour exploiter sexuellement des enfants dans la « misère humaine ». Des agressions diffusées en direct pour son seul plaisir. Jusqu’à 40 filles seraient tombées dans ses griffes.

Ce qu’il faut savoir

Gilles Provencher est accusé de nombreux crimes sexuels sur des enfants. Il souhaite être libéré jusqu’à la fin de son procès.

Le Montréalais de 77 ans aurait payé des complices pour exploiter sexuellement des fillettes au Mali.

L’accusé dirigeait le Carrefour Solidarité Anjou, un organisme qui aide les nouveaux arrivants.

Kadia* a 8 ans. Elle vit dans la grande pauvreté dans un village du Mali. Sa mère a reçu des milliers de dollars d’un étranger pour livrer sa fille en pâture. Des vidéos de l’enfant sont échangées sur Facebook. Une enquête d’envergure internationale est alors déclenchée. L’étranger serait Gilles Provencher.

« Trouver de nouvelles victimes, c’était son hygiène de vie », a témoigné l’enquêteuse Mélodie Leclerc du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM). « C’est presque un mode de vie. C’était une recherche journalière », a plaidé le procureur de la Couronne MHugo Rousse.

Le Montréalais de 77 ans fait face à 13 chefs d’accusation, dont production de pornographie juvénile, incitation à des contacts sexuels d’un mineur et leurre. Détenu depuis mai 2023, Gilles Provencher souhaite être remis en liberté, mais la Couronne s’y oppose. C’est lors de cette audience, à la fin mars, que les détails de ce dossier unique ont été révélés.

« Ignobles », « odieux », « pervers ». Les épithètes n’ont pas manqué pendant l’audience pour décrire les crimes qu’aurait commis Gilles Provencher à l’égard de dizaines de petites Maliennes.

Ses victimes étaient des fillettes vivant dans la pauvreté extrême, surtout des jeunes de 12 et 13 ans. Il est aussi question de deux bébés et de 15 à 20 adolescentes « plus développées ».

Gilles Provencher était directeur du Carrefour Solidarité Anjou, un organisme qui aide les nouveaux arrivants dans l’est de Montréal. Il était proche de la communauté africaine de Montréal. L’an dernier, il a même participé à une conférence de presse pour réclamer au gouvernement de l’aide pour les demandeurs d’asile. Selon ses collègues, il avait une « aura ».

Mais dans l’ombre, Gilles Provencher collectionnait des images de pornographie juvénile et recrutait des fillettes au Mali, où il a habité une dizaine d’années, selon la preuve présentée par la poursuite. Cette preuve n’a toutefois pas été testée pendant un procès.

En direct

« Son modus operandi est bien huilé. C’est lui qui met en place les stratégies pour trouver des filles assez vulnérables pour produire de la pornographie juvénile », a témoigné l’enquêteuse Mélodie Leclerc du SPVM.

Par l’entremise de complices, le Montréalais pouvait par exemple financer un concours de danse dans un village pauvre du Mali, puis cibler les jeunes filles dansant le plus « sexy ». D’autres fois, des complices lui trouvaient des proies, selon des critères très précis. « Il les magasinait, il les rencontrait via internet, il les choisissait. Il utilisait des liens qu’il avait au Mali pour recruter des enfants afin de produire de la pornographie juvénile et de commettre des abus sexuels sur elles via des complices au Mali », a résumé le procureur de la Couronne MHugo Rousse.

Selon la preuve, Gilles Provencher aurait transféré 16 000 $ à six femmes en Afrique, dont trois complices identifiées. Un Montréalais d’origine malienne affirme avoir fait plusieurs transferts pour l’accusé, croyant naïvement aider des gens au Mali.

« Dans sa déclaration aux policiers, il admet qu’il payait pour de jeunes filles, il disait que c’était pour leur école », souligne MRousse.

Selon la poursuite, Gilles Provencher faisait du « grooming », c’est-à-dire qu’il désensibilisait graduellement ses victimes à la sexualité.

Il leur payait par exemple de belles robes et des coiffures pour poser. Au fil des mois, elles étaient amenées à se dévêtir, puis à faire des gestes sexuels avec d’autres enfants ou avec des femmes. Les gestes décrits pendant l’audience sont très explicites.

« Sur certains fichiers, les filles vont envoyer la photo en disant “Merci grand-papa”. Dans d’autres, elles vont dire qu’elles sont Mme Provencher. Dans une vidéo en temps réel, le numéro [de téléphone] associé à M. Provencher sera grand-papa », relate l’enquêteuse Leclerc.

Selon la policière, Gilles Provencher regardait en direct les agressions sexuelles de ses victimes. Contrairement à la plupart des pédophiles, il ne partageait pas sa production de pornographie juvénile. Le témoignage de l’enquêteuse révèle toutefois que les agressions d’enfants « en direct » sont un phénomène en pleine croissance.

« Plusieurs consommateurs de pornographie juvénile vont s’envoyer un lien à une heure précise. Il va y avoir une agression en temps réel. Les agresseurs peuvent faire des demandes […]. C’est une tendance qu’on voit de plus en plus », explique l’enquêteuse.

Perception du public

Aux yeux de la Couronne, le public serait choqué d’apprendre la libération de Gilles Provencher compte tenu des circonstances particulièrement graves de l’affaire. « C’est odieux », a insisté MRousse, qui ne relève aucun facteur atténuant. Pour de tels crimes, il pourrait demander au moins de 8 à 10 ans de pénitencier, a-t-il fait savoir.

Selon l’avocat de la défense, MJonas Fadeu, un public raisonnable et bien informé pourrait comprendre qu’un homme sans antécédent comme Gilles Provencher puisse être libéré jusqu’à son procès. « Son risque de récidive est faible », a-t-il plaidé. L’accusé propose d’habiter, seul, dans l’immeuble de son fils.

Le juge Christian M. Tremblay a évoqué de très sévères conditions s’il décidait de le libérer. « Vous ne retouchez pas à un ordinateur ! Et pas de téléphone cellulaire. Rien. Nada. Zéro », a-t-il lancé.

Le magistrat semblait néanmoins tergiverser sur la question de la perception du public, un critère crucial. Il rendra sa décision à la fin du mois.

Et quant à Kadia, elle demeure toujours la « priorité numéro un » de l’enquêteuse. « On est allé frapper du côté d’Interpol, on espère avoir un retour prochainement », a-t-elle conclu.

* Prénom fictif