(Québec) Réaliser le rêve de François Legault de construire un Espace bleu dans chaque région du Québec aurait coûté près de 1 milliard de dollars, affirme le ministre de la Culture Mathieu Lacombe. Il tire le rideau sur ce qui devait être le « legs nationaliste » du premier ministre, un véritable « fiasco », selon les partis de l’opposition.

Ce qu’il faut savoir

  • Le gouvernement Legault abandonne les Espaces bleus. En 2021, les 17 musées, un par région, devaient coûter 259 millions, mais la facture risquait maintenant de dépasser le milliard de dollars.
  • Sur les quatre projets d’Espaces bleus dévoilés, un seul est certain de conserver une vocation culturelle, celui situé dans le Vieux-Québec.
  • Les députés caquistes Suzanne Blais (Abitibi-Ouest), Stéphane Sainte-Croix (Gaspé) et Kariane Bourassa (Charlevoix) ont le mandat de trouver une utilité aux sites d’Amos, de Percé et de Baie-Saint-Paul.

« C’est sûr qu’on est déçus. C’était un concept auquel on croyait […] Mais le coût était déraisonnable en lui-même. Si ce réseau nous avait coûté 500 millions, peut-être qu’on aurait continué. Mais quand on est autour du milliard, la nature de la décision est différente », laisse tomber M. Lacombe en entrevue avec La Presse.

À l’origine, en 2021, le gouvernement Legault avait alloué une somme de 259 millions pour créer 17 Espaces bleus, dans toutes les régions du Québec. Annoncé en grande pompe, ce tout nouveau réseau de musées devait convaincre les Québécois d’oublier « Cancún ou Puerto Plata » pour visiter la province.

« Je veux que quand on y met le pied, qu’on se sente fier », disait le premier ministre, selon qui « on doit se dire que le peuple québécois est un peuple fort et résilient, qui a réussi à passer à travers des hivers qui ont été durs ».

À la CAQ, on estimait que ce réseau serait « un legs nationaliste assumé du gouvernement Legault » et qu’il permettrait de fouetter la fierté des Québécois à l’égard de leur histoire, de leur culture.

Un projet culturel « nationaliste » dans le Vieux-Québec

Pour Mathieu Lacombe, cet échec, qu’il a tout d’abord annoncé dans Le Soleil, s’explique par une surchauffe dans l’industrie de la construction. Pour les trois premiers sites, la facture actuelle frôle les 124 millions, dont 92 millions uniquement pour le projet du pavillon Camille-Roy du Séminaire de Québec, et 25,5 millions pour la villa Frederick-James à Percé. Le vieux palais de justice d’Amos a été rénové pour 3,7 millions, mais l’aménagement intérieur n’a pas été fait.

Le quatrième projet, situé à Baie-Saint-Paul, aurait coûté près de 56 millions pour réhabiliter une aile de l’ancien couvent des Petites Franciscaines, mais il n’avait pas commencé. Québec pourrait reculer sur son offre d’achat pour éviter de devenir propriétaire du bâtiment, mais s’engage à soutenir un projet culturel dans la région. Le maire suppléant d’Amos, Pierre Deshaies, dit que sa ville a le « cœur brisé ». Le maire de Baie-Saint-Paul, Michaël Pilote, affirme de son côté qu’il a plusieurs projets culturels qui ont besoin de fonds.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Pour Mathieu Lacombe, cet échec s’explique par une surchauffe dans l’industrie de la construction.

M. Lacombe se console en soulignant que la portion non dépensée de l’enveloppe initiale du projet, soit 135 millions, est toujours disponible pour des projets culturels. Pour l’instant toutefois, personne ne connaît la vocation qu’auront les bâtiments de Percé et d’Amos ; les députés caquistes locaux ont le mandat d’en trouver une. Mais elle pourrait ne pas être liée à la culture.

M. Lacombe estime cependant qu’il n’y a pas eu de gaspillage, puisque ce sont des bâtiments patrimoniaux qui devaient être rénovés.

Dans le Vieux-Québec, ce sera un « projet culturel majeur » qui sera « très nationaliste », promet Mathieu Lacombe. Mais ce ne sera plus un Espace bleu.

Avec l’échec du Panier bleu, et l’abandon des Espaces bleus, « je crois que parmi mes collègues [ministres], le prochain qui voudra faire un projet avec l’adjectif “bleu”, il va y repenser à deux fois », laisse tomber à la blague M. Lacombe.

Fiasco

Les partis de l’opposition, eux, parlent toutefois d’un « fiasco ». Le péquiste Pascal Bérubé souligne que des critiques avaient été émises dès l’annonce du projet.

C’était une mauvaise idée, on l’avait dit. Il tenait à créer de nouvelles institutions alors que des musées exprimaient des besoins. Le résultat : on a perdu du temps et beaucoup d’argent.

Pascal Bérubé, député du Parti québécois

Le solidaire Sol Zanetti demande à M. Lacombe de prendre une pause et « d’écouter le milieu culturel ». « Le gros problème avec [la CAQ] depuis six ans, c’est qu’avant de consulter, ils arrivent avec un projet qu’ils ont préparé en se disant : ça, ça parle au monde. C’est du marketing politique. C’est concept. Mais personne n’en veut sur le terrain », dit-il.

Il ne lance toutefois pas la pierre au gouvernement pour avoir rénové des bâtiments patrimoniaux, mais avant de décider quoi en faire, il doit « parler aux artistes ». « Je lui demande de ne pas se tromper à nouveau », laisse-t-il tomber.

La députée libérale Brigitte Garceau parle d’un « troisième lien culturel », en faisait référence au projet de tunnel autoroutier entre Québec et Lévis, abandonné par la CAQ l’an dernier. « La réalité rattrape encore une fois ce gouvernement brouillon. Ça fait plus d’un an que nous questionnons le ministre Mathieu Lacombe sur les Espaces bleus et chaque fois, le politicien nous disait d’attendre et que tout allait bien », a-t-elle déploré dans une réponse écrite.