L’Autorité régionale de transport métropolitain (ARTM) jure avoir bien entendu le message cinglant envoyé par Québec. L’organisation, critiquée de toutes parts pour ses lacunes en planification, promet une véritable « priorisation » parmi des dizaines de chantiers évalués à plus de 57 milliards. Elle déposera un nouveau plan stratégique d’ici l’été prochain, mais devra entre-temps combler un manque à gagner de 500 millions.

C’est ce qu’a expliqué le directeur général de l’ARTM, Benoît Gendron, pendant une longue entrevue accordée à La Presse cette semaine. Il admet sentir une forte « pression » de la part du gouvernement Legault, notamment pour faire avancer la nouvelle mouture du REM de l’Est, projet retiré des mains de CDPQ Infra, filiale de la Caisse de dépôt, pour passer dans le giron public.

« La pression est saine à l’heure actuelle et elle est au bénéfice du client, avance-t-il. Pour moi, tant que la pression va dans ce sens-là, je n’ai aucun problème. »

Il faut dire que les critiques fusent de toutes parts envers l’ARTM depuis environ un an. Cet organisme a été créé par une loi provinciale en 2017 pour réaliser quatre mandats précis : planifier, organiser, promouvoir et financer les transports en commun dans la région métropolitaine. Ces responsabilités étaient auparavant réparties entre les différentes sociétés de transport comme la Société de transport de Montréal (STM), le (Réseau de transport de Longueuil) RTL ou exo.

Échec

Or, Québec estime que l’ARTM a failli à sa tâche de chef d’orchestre. Le gouvernement a refusé son plan stratégique déposé en 2021, qui présentait une longue liste de projets à différents stades d’avancement, comme des corridors réservés pour les autobus et des extensions du REM, sans véritable priorisation.

Benoît Gendron reconnaît que l’ARTM doit faire un meilleur travail pour établir une planification précise des projets dans un horizon de 5 ans, 10 ans, voire 25 ans.

On aura un nouveau plan stratégique d’ici le printemps ou l’été, pour se donner une vision du transport collectif sur l’horizon 2050. On va prioriser les projets en fonction des retombées. Et ensuite, ça sera de dire : si on fait le choix du numéro 4 au lieu du numéro 1, la retombée va être moindre. Mais ça sera une décision éclairée.

Benoît Gendron, directeur général de l’ARTM

À ce jour, le manque à gagner de l’ARTM pour l’année prochaine est évalué à environ 500 millions de dollars sur un budget de 3,2 milliards. Ce déficit est causé par la perte d’achalandage — on se situe à environ 75 % du niveau prépandémique en moyenne dans la métropole —, mais aussi par le déficit d’entretien structurel des infrastructures et la mise en service du REM sur la Rive-Sud, qui engendre des dépenses d’environ 75 millions.

Réduire les tarifs ou offrir la gratuité pour certaines catégories d’usagers, comme cela se fait ailleurs dans le monde, serait pour le moins difficile dans le contexte d’une baisse marquée de l’achalandage, estime le directeur général de l’organisme. « Il me manque 500 millions, et si je donne la gratuité, je suis rendu à 1,5 milliard. Mais est-ce que ça vaudrait la peine d’investir 1,5 milliard au niveau du gouvernement ? Je serais le premier à dire “hourra !” », illustre-t-il.

PHOTO DOMINICK GRAVEL, ARCHIVES LA PRESSE

Autobus d’exo sur le pont Samuel-De Champlain

Et comme la plupart des revenus du transport collectif proviennent des usagers, l’avenir n’est pas tout rose. L’ARTM s’attend à « retrouver une croissance de 2 à 3 % » de son achalandage par année. Cela pourrait donc prendre une dizaine, voire une quinzaine d’années, avant que l’on retrouve le niveau d’avant la pandémie, reconnaît Benoît Gendron.

D’ici là, « il faudra démarrer plusieurs projets de front, tant dans les étapes de la préfaisabilité que de la planification, le dossier d’opportunité ou le dossier d’affaires, bref partout, pour que le pipeline soit toujours à maturité et que les projets se réalisent ». « Le problème qu’on a, c’est que des fois, on les prend un à la fois », concède-t-il d’ailleurs en réponse aux critiques sur la mauvaise coordination des acteurs.

Relancer le REM de l’Est

La relance d’une nouvelle mouture du REM de l’Est constituera un test crucial pour le leadership de l’ARTM. Cette deuxième phase du REM, qui avait été développée par CDPQ Infra pour desservir l’est de la métropole, a été retirée des mains de la Caisse de dépôt par le gouvernement Legault en mai 2021 pour être transférée à des gestionnaires du secteur public.

Des dirigeants de l’ARTM, de la Ville de Montréal, de la STM et du ministère des Transports et de la Mobilité durable devront s’entendre pour tenter de créer une nouvelle version de ce réseau de train léger, dont les structures de béton surélevées avaient soulevé l’effroi dans plusieurs quartiers de la métropole. Leur comité réutilisera les études déjà faites par CDPQ Infra (payées 100 millions) et commandera d’autres analyses au cours des prochains mois.

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

Test du REM sur le tronçon entre la Rive-Sud de Montréal et le centre-ville

François Legault a indiqué le printemps dernier qu’il n’aurait pas beaucoup de « patience ». Il a demandé que « ce projet-là se réalise le plus vite possible », soit d’ici 2029. Le premier ministre n’hésitera pas à faire d’autres « changements » à la direction de l’ARTM si le projet n’avance pas assez rondement, a-t-il ajouté après avoir nommé Patrick Savard à la présidence du conseil de l’organisme.

Pour ne pas répéter le scénario du prolongement de la ligne bleue (en gestation depuis 40 ans) ou du service rapide par bus sur le boulevard Pie-IX (annoncé il y a 13 ans et entré partiellement en service il y a quelques jours), Benoît Gendron demande à Québec d’attribuer à l’ARTM des « pouvoirs similaires » à ceux qui ont été accordés à CDPQ Infra pour son REM.

Au public, il y a beaucoup de délais que la Caisse de dépôt n’a pas, grâce à ses pouvoirs d’expropriation. Avec des privilèges similaires, le public pourrait très bien trouver des façons de réaliser les projets plus rapidement.

Benoît Gendron, directeur général de l’ARTM

REM ou pas, les cinq prochaines années seront « assez occupées » en matière de chantiers de transport de toutes natures. « Il n’y a plus beaucoup de place en termes de capacité financière et de réalisation. Il faut tenir compte de la capacité du marché à réaliser tout ça aussi », dit M. Gendron, citant aussi les travaux à venir sur la ligne bleue, sur l’autoroute Métropolitaine et dans le tunnel Ville-Marie.

Lisez « Québec renvoie l’ARTM faire ses devoirs »

Améliorations technologiques à venir

L’ARTM poursuit ses discussions avec BIXI, Communauto et Uber en vue de la création d’une application mobile qui permettrait, d’ici 2024, de payer une seule fois par mois tous les services de transport collectif ou actif à Montréal en fonction de son utilisation.

« On sent bien qu’il y a de l’intérêt du marché privé, c’est clair. Il va s’agir maintenant de trouver combien ça va coûter et d’identifier le montant qu’on va verser à l’opérateur privé par rapport à ça », confie M. Gendron.

Sur le plan des technologies, le monde du transport collectif « changera beaucoup », affirme-t-il. D’ici un an, l’ARTM prévoit notamment lancer la « recharge à distance » de la carte OPUS. L’année suivante, l’organisme espère aussi avoir livré son projet de paiement ouvert, qui permettrait de payer avec son téléphone ou sa carte bancaire en entrant dans le métro ou le bus.

PHOTO FOURNIE PAR LA STM

Nouvelles bornes installées dans le métro de Montréal

De nouvelles bornes ont déjà été installées dans le métro de Montréal en vue de l’implantation de cette mesure.

Enfin, un projet pilote de plateforme de covoiturage doit toujours voir le jour d’ici au début de 2023 afin d’offrir une option de plus aux automobilistes dans la foulée de la fermeture partielle du tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine. Il s’agira, là aussi, d’une application mobile.

L’an prochain, l’ARTM veut aussi « aborder de près » la question de la tarification sociale, qui a déjà fait l’objet de tests. Jugé plus « opportun » que la gratuité, ce type de tarification consiste à offrir des prix en fonction du revenu de chaque personne. À court terme, l’organisme mise sur une campagne publicitaire pour tenter d’inciter les résidants du Grand Montréal à utiliser davantage les transports en commun.