Comme le temps passe vite. En présentant sa mise à jour économique la semaine dernière, Eric Girard a été franc et solennel. La marge de manœuvre était très limitée.

Pour dépenser plus, il faudrait emprunter. Or, les taux d’intérêt sont élevés. Les Québécois doivent donc être raisonnables, concluait le ministre des Finances.

Et puis, quelques jours plus tard, vint une occasion comme on en voit seulement une fois par génération. Une expérience transformatrice, celle d’assister à deux matchs hors concours des Kings.

Pour cela, M. Girard est prêt à dépenser – pardon, investir – de 5 à 7 millions de dollars. C’est même lui qui a eu l’initiative du projet.

Il est facile de tomber dans le racolage et l’indignation minute au sujet des fonds publics. Soyons donc factuels. Constatons les choix que le gouvernement caquiste fait.

Je reste prudent avant de comparer cette annonce avec la négociation avec le front commun syndical. Il n’y a pas encore eu d’entente ni d’offre finale. On ne sait quelle somme le gouvernement se garde en réserve. On verra.

Mais déjà, d’autres enjeux sont révélateurs.

Je ne sous-estime pas le frisson procuré par la vue d’un slapshot de Blake Lizotte. Mais parmi les autres besoins élémentaires d’une existence humaine, il y a la faim. La fréquentation du réseau des Banques alimentaires a bondi de 40 % l’année dernière. Dans sa mise à jour économique, M. Girard leur a réservé 10 millions additionnels. C’est bien, mais cela reste inférieur aux 18 millions demandés pour tenir le coup durant cette année où les besoins atteignent un sommet.

Dans ce cas-ci, M. Girard a bel et bien cherché un équilibre entre le pain et les jeux.

Québec plaidera qu’on ne doit pas mélanger les dossiers. Comparons alors l’aide aux millionnaires du hockey avec celle accordée aux autres évènements sportifs et culturels.

L’année dernière, les grands festivals (Été de Québec, Jazz, Juste pour rire, Osheaga, Western de Saint-Tite) ont reçu entre 900 000 $ et 1,2 million. Soit de cinq à sept fois moins que pour ces deux rencontres préparatoires qui ne s’annoncent quand même pas du calibre de Rendez-Vous 1987⁠1...

On pourrait aussi parler de tous les artistes qui rêvent de recevoir 3000 ou 5000 dollars pour réaliser un projet important dans leur carrière.

En conférence de presse, M. Girard a raconté des tranches de vie fascinantes sur le hockey. C’est un sport qu’il affectionne. Il y jouait quand il était petit. Il le pratique encore à Québec, une ville qu’il aime beaucoup, d’ailleurs.

Si sa préférence personnelle doit devenir une priorité collective, il aurait pu injecter plus d’argent dans la rénovation des arénas au lieu de remplir les poches déjà débordantes des richissimes propriétaires des Rois de Los Angeles.

Ou faire les deux en refusant de payer pour organiser les matchs, ce qui aurait été possible, comme le rappelle mon collègue Alexandre Pratt.

Et si le développement économique l’intéresse, il aurait pu documenter les prétendues retombées attendues. Ou prolonger le programme d’aide au maintien des services aériens régionaux essentiels. Son financement de 10 millions de dollars n’a pas été renouvelé, ce qui met en péril certains vols vers la Côte-Nord, la Gaspésie et les Îles-de-la-Madeleine. Occuper le territoire, c’est aussi important que d’occuper le Centre Vidéotron.

Les caquistes voulaient sans doute se faire excuser à Québec l’abandon du troisième lien, ressuscité dans l’incrédulité générale, et la mise sous respirateur artificiel du tramway.

S’ils croient gagner des votes, ils ont toutefois oublié une leçon de la partielle dans Jean-Talon : les électeurs perdent confiance dans un gouvernement qui semble prêt à dire ou à faire n’importe quoi pour plaire.

Leur fierté pourrait être piquée. Ils se diront : vous pensez qu’on est si faciles à acheter ?

À la décharge de M. Girard, ce n’était pas sa seule contradiction de la semaine.

Lors de sa mise à jour économique, il a expliqué aux municipalités que l’argent manquait pour éponger au-delà de 70 % du déficit des sociétés de transport collectif.

À Québec, on notait – avec raison – que Montréal pourrait mieux contrôler ses dépenses. Le gaspillage à l’Office de consultation publique (OCPM) a conforté les caquistes dans ce choix.

Or, quelques jours plus tard, le gouvernement Legault montre à son tour sa grande aisance à dépenser.

La contribution assurance des permis de conduire sera annulée. Une économie modeste de 101,55 $ par automobiliste en 2024, qui coûtera 600 millions de dollars à l’État. C’est trois fois la somme qui manque aux municipalités pour continuer de faire fonctionner les autobus, les métros et les trains.

De façon théorique, Québec est censé vouloir réduire la consommation d’essence et augmenter la fréquentation du transport collectif. C’est du moins ce que dit la Politique de mobilité durable, pour ceux qui y croient encore. La récente annonce encourage pourtant le contraire.

Un gouvernement se révèle dans ses choix. Celui-ci montre qu’il préfère les millionnaires étrangers à la culture locale et l’essence à la mobilité durable. Et parfois, des jeux avant le pain.

Du ti-counisme en patins.

1. Consolez-vous en regardant un montage des moments forts d’un match de Rendez-Vous 87 au Colisée de Québec