À l’aube du dépôt de son budget, Valérie Plante s’est trouvé un nouvel ennemi utile.

Pourquoi le logement manque-t-il à Montréal ? Surtout parce que Québec le sous-finance, déplore-t-elle.

Le transport collectif ? La réponse est la même. Même si elle avoue qu’elle pourrait faire mieux, le principal responsable se trouve à l’Assemblée nationale, se plaint-elle.

Et le développement économique ? Elle est plus loquace pour critiquer Québec – la hausse des droits de scolarité pour les étudiants universitaires des autres provinces – que pour développer un plan.

On a l’habitude de voir le gouvernement du Québec, peu importe sa couleur, se magasiner une chicane avec le fédéral pour faire oublier ses propres problèmes. Cette fois, la mairesse de Montréal reprend la recette.

Cette stratégie est apparue clairement dans une excellente interview éditoriale avec L’actualité1.

« Ça sert bien le gouvernement actuel de dépeindre Montréal comme étant… comme étant… »

Le journaliste Guillaume Bourgault-Côté la talonne, mais elle se défile, satisfaite d’avoir passé son message en laissant le lecteur imaginer le pire…

Montréal est négligé ? Dans la Capitale-Nationale, les gens ont dû avaler leur boisson chaude de travers. Là-bas, des animateurs radio parlent plutôt de la « Coalition avenir Montréal ».

À Québec, le troisième lien est en principe ressuscité, mais on attend d’en voir la preuve vivante. Et le tramway, lui, est sous respirateur artificiel.

Pendant ce temps, à Montréal, le prolongement de la ligne bleue avance, la première phase du REM est complétée et les autres tronçons avancent. Même si le REM de l’Est est sur la voie de garage, il n’est pas mort.

La différence avec le tramway, c’est que les caquistes y croient au moins un peu – c’était leur projet, et non une idée à laquelle ils s’étaient ralliés en se pinçant le nez.

Si la CAQ néglige une ville, ce n’est pas celle de Mme Plante.

Sur le fond, Valérie Plante mène un bon combat.

Montréal est la locomotive économique du Québec. La contribution de la région au PIB est supérieure à son poids démographique.

Comme l’a reconnu le ministre des Finances, Eric Girard, si la province a pris du retard face à l’Ontario, c’est surtout à cause de l’écart grandissant entre Montréal et Toronto.

Quand la métropole va bien, c’est donc tout le Québec qui en profite.

Mme Plante veut réduire la dépendance à l’auto, adapter les infrastructures à la crise climatique, développer le transport collectif, construire des logements et prévenir l’itinérance.

Tout en investissant un peu dans ces enjeux, les caquistes ont réduit leur marge de manœuvre en accordant une baisse d’impôt récurrente qui coûte annuellement 1,8 milliard.

Pour la mobilité durable, l’intérêt du gouvernement caquiste a été au mieux fluctuant. Par exemple, il a continué d’accélérer l’étalement urbain en promouvant des autoroutes prolongées (13, 19 et 30) ou élargies (voie réservée ajoutée sur la 15).

Mme Plante réclame plus d’argent, mais elle sert mal sa cause. Par sa maladresse, elle donne des excuses à la CAQ pour se traîner les pieds.

À Montréal, l’usine d’ozonation est un fiasco – la facture a triplé et le chantier sera terminé au mieux avec 15 ans de retard. L’année dernière, les coûts et les délais du projet de garage de la STM avaient déjà doublé, et le compteur tourne.

Montréal a aussi accordé récemment un double boni à 1800 cadres. Ils sont pourtant mieux payés que les employés du niveau provincial, a souvent démontré le Centre sur la productivité et la prospérité de HEC Montréal.

À cela s’ajoute le peu de scrupule montré pour les fonds publics par Dominique Ollivier, argentière de la ville, alors qu’elle présidait l’Office de consultation publique de Montréal.

Certes, le dernier boni aux cadres (6 millions) a un impact minime sur les finances municipales. Les notes de dîners d’huîtres relèvent quant à elles du symbole.

Mais pour le gouvernement caquiste, qui ne veut pas céder aux demandes des municipalités, c’est un cadeau inespéré. Le message : qu’elles fassent le ménage avant de quémander plus d’argent.

Même si la gestion du transport collectif était optimale, le sous-financement demeurerait. Et ce problème s’aggraverait à cause de l’électrification qui réduit chaque année les revenus de la taxe sur l’essence servant à financer les services.

Or, jusqu’à l’année dernière, les caquistes se battaient contre un modeste prélèvement de 50 $ pour les couronnes nord et sud de Montréal. L’écofiscalité leur fait peur.

À Québec, on note aussi que Mme Plante a décidé d’offrir la gratuité aux aînés, même ceux qui ne sont pas pauvres. Cela équivaut à une perte annuelle de revenus d’environ 40 millions. Certes, la somme doit être relativisée – elle correspond à moins du cinquième du supplément d’urgence que Montréal réclame. Mais si on croit les menaces de Mme Plante, cette somme aurait pu faire la différence entre fermer ou faire rouler le métro après 23 h…

Pour le logement, Mme Plante ne joue pas mieux ses cartes. Elle a raison, Québec pourrait en faire plus pour le logement. Imaginons que Pierre Fitzgibbon était ministre du Logement et qu’il prenait autant ce dossier à cœur que la filière batterie. Ça avancerait.

Or, la mairesse n’est pas qu’une victime. Son règlement pour le logement social et abordable (le « 20/20/20 ») fonctionne mal. En deux ans, un seul projet de logement social a été approuvé.

Les délais demeurent inacceptables. Depuis 2018, ils se sont allongés de 38 % ! Pendant que Toronto et Vancouver s’apprêtent à battre des records de mises en chantier, Montréal connaît sa pire année depuis la fin du dernier siècle.

Quant aux universités anglophones, Mme Plante n’a pas tort, la proposition caquiste rompt avec la réciprocité. À l’heure actuelle, les Québécois qui étudient dans les autres provinces payent en moyenne autant que les Canadiens qui viennent chez nous. Cet équilibre, M. Legault veut le rompre. Mais à Québec, on pose la question : qu’a fait Mme Plante pour protéger le français ? Est-ce que ça l’intéresse ? Tant qu’elle n’aura rien de mieux à proposer qu’un slogan – la « Métropole francophone des Amériques » –, sa critique ne sera pas prise au sérieux.

Voilà la constante dans chaque dossier. Mme Plante tient le gouvernement Legault responsable de ses échecs, mais en jouant la victime, elle démontre malgré elle son incapacité à faire des gains.

Pour une mairesse qui veut se présenter aux prochaines élections, c’est risqué. Et pour Montréal, c’est un aveu de faiblesse.

Qui y gagne ? Personne.

1. Lisez l’interview de L’actualité avec la mairesse Valérie Plante