La ministre Geneviève Guilbault dépose ce jeudi un projet de loi qui va mener à la création de Mobilité Infra Québec, une nouvelle agence dont la mission sera de planifier et développer des grands projets d’infrastructures routières et de transport collectif plus rapidement et à moindre coût.

Mme Guilbault nous a présenté les contours de cette agence jeudi dernier lors d’une rencontre éditoriale qu’elle avait convoquée.

J’écris « contours », car la ministre ne pouvait pas entrer dans les détails avant le dépôt de son projet de loi, ce qui limitait ce qu’elle avait droit de nous dire pour des raisons d’ordre légal. Plusieurs questions ont donc été laissées en suspens.

Pourquoi cette rencontre, demanderez-vous, si Geneviève Guilbault n’avait pas les coudées franches pour nous présenter en détail la future agence ?

On sentait bien que la ministre était en mode damage control après une semaine particulièrement difficile marquée par deux déclarations qui ont frappé l’imaginaire : son « Gère ta fougère » (on vend désormais le t-shirt…) et le « c’est facile pour les maires de quêter à Québec » du premier ministre François Legault n’ont rien fait pour améliorer les relations entre Québec et le monde municipal.

C’est donc pour tenter de rétablir la communication que la ministre a entrepris cette tournée médiatique, sachant aussi que les maires allaient se réunir vendredi à Drummondville pour participer au Rendez-vous national sur l’avenir du transport collectif organisé par l’Union des municipalités.

Un autre psychodrame

Ce n’est pas le premier psychodrame auquel on assiste entre le gouvernement caquiste et les maires du Québec. On dirait que ce gouvernement s’est fait une spécialité de jeter de l’huile sur le feu depuis son arrivée au pouvoir. Qu’on pense aux demandes des villes pour l’adaptation aux changements climatiques, pour l’itinérance ou pour le transport collectif, c’est toujours le même petit jeu.

On dit non, la tension monte, puis quelques jours plus tard on se positionne en « sauveur » en accordant une aide d’urgence… et des entrevues dans les médias.

Cette attitude paternaliste de la part du gouvernement Legault place à tout coup les maires en situation de dépendance face à Québec. Et après on les traite de quêteux…

Chicane de structures à l’horizon ?

Revenons à cette fameuse agence qui va planifier et gérer les grands projets de transport. D’abord, elle risque de marcher sur les orteils de l’ARTM, puisqu’elle se chargera de la planification nationale des grands projets. L’ARTM est déjà responsable de la planification du transport collectif dans la région métropolitaine de Montréal. Qui aura le dernier mot ?

La dernière chose dont a besoin Montréal, c’est une autre chicane de structures.

La création de Mobilité Infra Québec ne réglera pas non plus la question de la politisation des projets de transport, une politisation qui a provoqué un véritable fiasco dans la région de la Capitale-Nationale avec les va-et-vient entourant le 3lien et le projet de tramway.

Pour planifier efficacement, il faut s’appuyer sur des données, pas sur des sondages.

La ministre Guilbault répète que sa nouvelle agence permettra de construire plus vite et moins cher. On ne la contredira pas sur l’urgence de développer le transport collectif au Québec. Mais je soulève quand même un doute quand on sait que tous les projets devront être approuvés par son ministère ainsi que par celui des Infrastructures, qui jouera le rôle de « tour de contrôle », comme l’a expliqué le ministre Jonatan Julien à mon collègue Maxime Bergeron mercredi⁠1.

En espérant que cette tour de contrôle ne ralentira pas les processus censés être plus rapides. C’est d’autant plus préoccupant que la fameuse agence pilotera aussi les projets routiers. Quand on connaît le penchant naturel de ce gouvernement pour l’asphalte, il y a de quoi s’inquiéter.

La question du financement 

L’autre élément qui soulève de gros doutes quant à la capacité de Mobilité Infra Québec à changer les choses, c’est le fait que le gouvernement Legault ne semble pas ouvert à s’attaquer au problème fondamental du transport collectif : son financement.

La semaine dernière, la ministre Guilbault a répété à tous les micros qu’elle ne comblerait pas le déficit structurel des sociétés de transport. L’éventualité que ces dernières réduisent l’offre de service ne semblait pas l’émouvoir. Elle a plutôt laissé entendre que les villes et les sociétés de transport pourraient revoir les conditions de travail de leurs employés.

Si quelqu’un sur cette planète croit sérieusement qu’on va rouvrir des conventions collectives en pleine pénurie de main-d’œuvre, j’aimerais qu’il se manifeste dans ma boîte de courriels. Je n’y crois pas un seul instant.

La ministre Guilbault a toutefois convenu lors de sa rencontre avec les maires, lundi dernier, qu’il faudra discuter de la question du financement pour ne pas rejouer dans le même film l’an prochain.

Évidemment ! Ça fait des années, voire des décennies, que les experts s’époumonent à dire que pour développer les transports publics, il faut prévoir un financement stable et récurrent. Il n’y a pas 36 000 façons d’y arriver. La solution s’épelle en quatre lettres : t-a-x-e. Sur l’immatriculation, sur les kilomètres parcourus et sur l’essence (en haussant la taxe existante) pendant qu’on en utilise encore.

La question du financement des transports publics est pour ainsi dire philosophique.

Le gouvernement caquiste voit l’argent alloué au transport public comme une dépense alors que tous les experts vous diront que c’est un investissement. Que les transports publics contribuent au développement économique, à la qualité de l’environnement, au bien-être des populations. C’est un service essentiel qui doit être réfléchi dans le cadre de la planification du territoire.

Tant qu’on n’aura pas développé une véritable vision de la place des transports publics dans la vie des Québécois, on restera au niveau de la communication.

1. Lisez la chronique de Maxime Bergeron « Réforme des contrats publics : des gains “fessiers”, ou réalistes ? » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue