« Il y a de moins en moins de Québec et de plus en plus de Québécois, qui ne pensent qu’en fonction de leurs intérêts personnels. »

« Le Québec a besoin de s’aimer, d’avoir confiance en son potentiel. »

Chers lecteurs, vous êtes épatants.

Mardi dernier, je vous posais une question : de quoi le Québec a-t-il besoin ?1 Elle s’inspirait de celle de l’essai collectif que j’avais dirigé en 2011. C’était une période où le Québec était au bord de l’implosion, où il en avait ras le pompon du gouvernement Charest. Ça sentait la corruption, le cul-de-sac, l’absence de vision. Nous étions en fin de cycle politique.

En 2024, deux ans après une pandémie qui a marqué un point de rupture, la vie politique est encore en train de se reconfigurer. Des fractures sont apparues, béantes, qui nous divisent et nous épuisent. Une fois de plus, nous sommes à la fin de quelque chose. La question de savoir ce dont le Québec a besoin, très vaste, fait ressortir aspirations et soupirs chez nombre d’entre vous.

D’abord, un immense merci. Vous avez été des centaines à vous manifester et à donner vos réponses, parfois très développées. J’ai passé des heures à vous lire, ravie, à trier vos réponses, à les organiser par thèmes, et surtout, pour le dire trivialement, à « pogner de quoi » !

Car très rapidement, une différence fondamentale d’avec le mood de 2011 s’est imposée. L’écœurantite d’il y a 13 ans était explosive. Ce que vous exprimez aujourd’hui est plutôt une lassitude, une démission tranquille. Vous soulevez des enjeux précis, circonscrits. Votre analyse relève de la psychologie, c’est frappant.

L’autre chose qui saute aux yeux en vous lisant est la dissonance entre ce qui vous préoccupe et les thèmes qui font la une des médias. Les sujets qui vous mobilisent profondément ne sont ni la santé, ni la langue, ni la crise climatique, sauf exception. Les wokes, les chicanes gauche-droite ou l’immigration ne vous obsèdent pas, les enjeux partisans vous laissent de marbre. Vous êtes plutôt portés par des envies, des désirs d’engagement personnels. Vos aspirations collectives sont pragmatiques, et on sent le désabusement post-pandémique.

Un des rares aspects où il est question de collectif, chez certains d’entre vous – je dirais 20 % –, c’est lorsque vous évoquez l’avenir constitutionnel et politique du Québec. Les mots indépendance, autodétermination, l’idée d’être « maître dans sa demeure » sont souvent revenus dans vos réponses. Certains parlaient de « rupture avec le Canada » et d’autres, « d’autonomie ». Chez les souverainistes, la figure de Paul St-Pierre Plamondon (PSPP) revenait souvent en leader inspirant, faisant de lui l’un des rares politiciens actuels que vous avez cités.

Alors, de quoi le Québec a-t-il besoin ? D’une réforme majeure en éducation. À vous lire, ça, c’est LE sujet collectif qui vous allume. « Nous avons besoin d’un vaste projet rassembleur en éducation, du primaire à l’éducation supérieure. D’un redressement intensif et d’une réflexion poussée. Créons le meilleur système d’éducation publique au monde. » « Besoin d’un système d’éducation qui fédère TOUS les élèves. Le seul lien collectif qu’il nous reste est l’école », dit une prof de polyvalente. « L’école ne socialise plus », se désole une autre. « Mettez Guy Rocher, Égide Royer dans un bureau avec des profs, sans fonctionnaires, et vous allez voir ce qui va en sortir », s’écrie un ex-prof au primaire.

La question de l’accès quasi impossible au logement vous inquiète. La situation des jeunes revient souvent dans vos mots. Vous souhaitez « des politiciens qui travaillent pour les futures générations, pas pour les futures élections », « de jeunes dirigeants, de jeunes entrepreneurs », « des jeunes femmes et hommes d’État ». « Il faut écouter les jeunes ! », c’est pour vous un leitmotiv.

De quoi le Québec a-t-il besoin ? Vos réponses sont, très majoritairement, teintées par une soif de qualités psychologiques, mais à l’échelle d’une nation. Sauf pour les nationalistes, la soif de collectif ne réfère pas tant à un projet de pays qu’à un retour du groupe. « Il faut revenir à l’esprit communautaire. » « De la solidarité. » « Sortir de l’ego.com. » « Travailler pour le bien commun. » « Être moins individualistes. » « Réapprendre à dire NOUS. » Vous pointez l’atomisation de la société. Elle vous pèse. Dans ce triomphe de l’individualisme, l’absence du « nous » vous tiraille.

Dans la même mouvance, vous en appelez à la « fierté », au « positivisme, et ça commence par les médias », à la bienveillance, la rigueur, la compétence, l’apaisement, l’indulgence, la compassion, l’entraide, la réflexion ; bref, à « des valeurs communes ». « Replacer l’humain au cœur de nos décisions. » « Avoir de la vision et du courage. » « Un idéal, un projet de société porteur, plutôt que des décisions à la pièce et des mesures électoralistes. » « De rêver et de se faire confiance. » « De fierté, car le Québec souffre de complexes par rapport aux États-Unis et à la France », remarque une Franco-Québécoise ici depuis 22 ans.

Presque personne ne parle de « leader fort », qui donnerait des coups de pied au cul métaphoriques, contrairement à 2011. Faut-il y lire un trop-plein de nos années pandémiques où la gouvernance paternaliste nous a soûlés pour longtemps ?

Mais la réponse qui est revenue le plus souvent à ma question a été l’amour ! « Besoin d’amour », « de s’aimer », « d’aimer le Québec ». De selfcare, de câlins, d’attention. Comme si le Québec était un humain magané, un peu perdu, lâché par sa famille.

Que fait-on avec ce constat ? On se part un parti pour orphelins politiques, le PAC, le Parti de l’amour crisse ?

En tout cas, merci pour votre folle générosité.

1. Lisez la chronique « De quoi le Québec a-t-il besoin ? » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue