Cette semaine, j’ai entrepris un ménage de ma bibliothèque, histoire de l’alléger. Les livres, il faut que ça circule.

Je suis tombée sur De quoi le Québec a-t-il besoin ?, un essai collectif que j’ai codirigé en 2011. À l’époque, au magazine télé BazzoTV, sur mon plateau ou dans l’espace surréaliste et kitsch d’un abri Tempo attenant au studio, je posais systématiquement cette question à mes invités : « À votre avis, de quoi le Québec a-t-il besoin ? »

Au fil des épisodes, la question est devenue un rituel. Tous l’attendaient, s’y préparaient et avaient envie d’y répondre. La réponse la plus souvent servie était : « Nous avons besoin d’un coup de pied au derrière/de leaders/de vision. » Il y avait dans l’air en 2011 un sentiment d’urgence.

Nous vivions les derniers mois du régime Charest. Il flottait une odeur de fin de cycle, de corruption. L’exaspération et le cynisme régnaient. Il ne se passait pas une semaine sans que mes chroniqueurs ou invités ne fassent une sortie contre cet air du temps qui paralysait la vie collective. Tous sentaient que nous étions à la croisée des chemins.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Jean Charest en 2011

J’ai donc décidé de faire cet essai, où la même question a été posée à une trentaine d’acteurs de la société québécoise, d’horizons et d’âges variés. Ce qui en ressort est un polaroïd de l’époque, de cette fin de cycle.

Le sociologue Guy Rocher, par exemple, y affirme que « le fait que nous ayons réussi une Révolution tranquille devrait être de nature à nous donner confiance en nous-mêmes ». La cinéaste Anaïs Barbeau-Lavalette : « Il faut faire exploser le cynisme. C’est comme de la paresse intelligente. » Le psychologue Camil Bouchard : « Il faut se débarrasser du chialage, répandu dans à peu près tout ce qu’on entreprend désormais. » Le biologiste Claude Villeneuve : « Le Québec a besoin de cesser de se développer par opportunisme. » Le général à la retraite Roméo Dallaire : « Le Québec a besoin d’écouter sérieusement ceux qui ont moins de 30 ans. » Paul St-Pierre Plamondon, alors jeune avocat et chroniqueur à BazzoTV : « Le Québec a besoin du retour du service public. Il y a un prix à payer pour la perte de la fierté. »

Il ressort de l’essai que nous étions collectivement insatisfaits. Pas juste déçus par nos gouvernants, mais par nous-mêmes.

Plusieurs interlocuteurs exprimaient la même idée : il manque quelque chose d’essentiel à notre épanouissement. Pendant la préparation de l’essai, je posais aussi la question à mes abonnés Twitter. Les réponses pleuvaient, variées, mais recoupant somme toute celles du livre.

C’était il y a 13 ans. Aussi bien dire un siècle. L’année suivante, le Québec allait connaître son printemps érable. Le gouvernement Charest allait se faire battre par le Parti québécois de Pauline Marois.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Rassemblement du Parti québécois le soir de l’élection de Pauline Marois, en 2012

Treize ans. Cent ans en politique, un claquement de doigts à l’échelle sociale. Le Québec réélira les libéraux en 2014, puis élira la Coalition avenir Québec (CAQ) en 2018. Ce qui semblait figé en 2011 s’accélérera. Nous connaîtrons une décennie de bouleversements de fond.

Nous avons élu la première femme première ministre, assisté à l’apparition au-devant de la scène de figures issues d’une nouvelle génération avec le mouvement étudiant. Québec solidaire, né en 2006, fera de plus en plus parler de lui, cristallisant les aspirations d’une partie des citoyens. Fondée en 2011, la CAQ se présentera rapidement comme la voix du consensus et deviendra parti de pouvoir sept ans plus tard. Un cycle politique extrêmement rapide qui semble vouloir se clore bientôt…

En 13 ans, le pouvoir sera passé des boomers aux X et aux milléniaux. La société s’est aussi « droitisée », tant dans ses opinions décomplexées que dans sa gouvernance. Paradoxalement, la gauche s’est investie dans des lieux de pouvoir comme les mairies.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Manifestation lors du printemps érable, en 2012

Par rapport à 2011, nous sommes dans un autre monde.

Usés par la pandémie, nous sommes devenus méfiants des autres. Nous vivons dorénavant dans une société atomisée. Nous n’avons guère de repères communs. Un fossé générationnel s’est creusé. Différents groupes s’épanouissent en silos. Les opinions sont de plus en plus tranchées. Les fractures et les clivages apparaissent sur la plupart des sujets où, il y a peu, on pouvait trouver un terrain d’entente. Les différents courants qui divisent la société québécoise opèrent sur fond de mondialisation de la culture, dans une indifférence préoccupante.

Je parcours mon essai de 2011 et sens cette époque très lointaine. Mais nous avons à nouveau les deux pieds dans la fin de quelque chose. Le cycle politique nouveau aura été extrêmement rapide. Quelque chose est révolu, quelque chose commence. En 2024, à la croisée des chemins, de quoi le Québec d’aujourd’hui a-t-il besoin pour se projeter dans l’avenir ?

Je vous pose la question.

J’ai très envie de lire vos réponses, chers lecteurs.

Appel à tous

Pour vous, politiquement, culturellement, socialement, de quoi le Québec a-t-il besoin ? Et pourquoi ? Écrivez-moi : toutes les réponses sont bonnes. Je vous donnerai des nouvelles de vous, de nous, dans une prochaine chronique.

Écrivez-nous ! Faites-nous part de votre point de vue