Par deux fois, la justice a dit non à ceux qui voulaient faire démanteler de force le campement propalestinien à l’Université McGill.

La question qui se pose maintenant : qu’est-ce qu’on fait ? Comment dénouer l’impasse et trouver une voie de passage ? J’en ai parlé avec un ancien vice-recteur de McGill. Avec un expert en négociation. Avec la vice-présidente de l’association des professeurs de droit de McGill.

Ils disent tous la même chose : l’Université doit s’asseoir sérieusement avec les manifestants, dialoguer et négocier.

« On ne va pas régler le fond de la question en 48 heures. Mais ça prend un calendrier de discussion et de négociation », affirme Denis Thérien, professeur émérite de l’Université McGill et ancien vice-recteur à la recherche et aux relations internationales de l’Université. Le professeur Thérien affirme qu’il aura « honte » de l’administration actuelle de McGill « si la situation du campement se règle par la force policière ».

« La solution est dans le dialogue. C’est ce que nous demandons, c’est ce que les étudiants demandent », dit Kirsten Anker, vice-présidente de l’Association mcgillienne des professeur.e.s de droit. L’association est elle-même en grève en vue d’obtenir la première convention collective de son histoire.

Si McGill veut vraiment que le campement soit levé, c’est le temps de discuter. La balle est dans le camp de l’Université, c’est à elle de faire quelque chose. La seule autre option qu’ils ont, c’est de laisser pourrir la situation.

Thomas Collombat, politicologue, expert en négociations syndicales et directeur du département de sciences humaines de l’Université du Québec en Outaouais

Je vous entends protester, chers lecteurs. Lorsque j’ai proposé la solution du dialogue, il y a 10 jours, je me suis fait rembarrer par plusieurs d’entre vous.

« Négocier ? On ne négocie pas avec des gens qui sont dans l’illégalité ! », m’a notamment écrit un lecteur.

Il est vrai que ce sont les manifestants qui ont forcé cette négociation.

« Mais c’est comme ça que fonctionne la politique ! commente Kirsten Anker, de la faculté de droit de McGill. Tant qu’on ne fait rien d’illégal et qu’on exerce les droits constitutionnels, on peut exercer des pressions. »

Dire que le campement est « illégal » a par ailleurs de moins en moins de poids depuis que deux décisions de la Cour supérieure ont statué qu’il n’y a pas d’urgence à le démanteler. Vrai, les questions de fond n’ont pas été tranchées et le tribunal s’est uniquement prononcé sur la nécessité d’intervenir d’urgence. Il est aussi vrai que la situation peut évoluer sur le terrain. Si la violence ou l’insécurité gagne le campement, les juges pourraient changer rapidement leur analyse.

Mais il faut bien reconnaître que, pour l’instant, la solution de démanteler le campement par la force ne tient pas la route, quand bien même on la réclamerait sur tous les tons.

Certains d’entre vous pestent contre ces décisions juridiques et le « gouvernement des juges ». Mais si votre solution est de miser sur l’abolition des chartes des droits et libertés et une réforme du système de justice, on vous souhaite bonne chance. En attendant, le campement risque d’être encore là demain matin – et sans doute après-demain aussi.

Le professeur émérite Denis Thérien, en tout cas, est convaincu qu’il existe un espace de négociation.

« Il faut trouver une façon pour que personne ne perde la face là-dedans. Et ça, ça veut dire un compromis – pas tout d’un bord et pas tout de l’autre », dit-il.

Les manifestants réclament actuellement que McGill coupe « tout lien scolaire et financier » avec Israël. Or, M. Thérien jugerait contre-productif que l’Université coupe ses liens avec les établissements scolaires ou universitaires israéliens, qui n’ont souvent rien à voir avec la guerre en cours.

« Tu veux au contraire maintenir des liens pour avoir une certaine influence », dit-il.

PHOTO PHILIPPE MERCURE, ARCHIVES LA PRESSE

Le professeur émérite de l’Université McGill et ancien vice-recteur, Denis Thérien

Couper les liens avec toutes les entreprises qui font affaire en Israël, c’est peut-être un peu exagéré aussi. Le nœud de l’affaire, ce sont les entreprises de guerre offensive. À mon avis, les manifestants pourraient restreindre leurs demandes à ça.

Denis Thérien, professeur émérite de l’Université McGill

Les manifestants devraient-ils mettre de l’eau dans leur vin ?

« Je ne me prononcerai pas sur le fond des revendications, répond le politicologue Thomas Collombat. Mais on met de l’eau dans son vin quand on a un verre dans lequel mettre le vin ! On fait des concessions quand on est dans un processus de négociation. Pour l’instant, on ne l’est même pas. Les manifestants ne vont pas revenir sur leur liste de revendications si l’autre partie ne s’est même pas mise à la table. »

C’est donc à McGill, aujourd’hui, de tendre la main aux manifestants. J’ai tenté d’avoir le point de vue de l’Université, mais elle ne parle pas aux médias.

Bien sûr, cette voie de la négociation est incertaine. On ignore la volonté réelle des manifestants de négocier de bonne foi.

Mais la direction de McGill n’a pas beaucoup d’autres options : poursuivre les démarches juridiques en espérant un revirement ou miser sur l’épuisement ou la désorganisation des manifestants.

L’option juridique est tout aussi incertaine que la négo. Attendre d’éventuelles violences dans le camp pour justifier une intervention serait moralement très discutable, voire irresponsable. Quant à miser sur l’épuisement, ça fonctionnerait sans doute mieux si on était à la fin novembre. Mais il se trouve que l’été est à nos portes. Et il risque d’être long et chaud à McGill si la direction ne tente pas de s’entendre avec les manifestants.

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