La démission de la co-porte-parole de Québec solidaire Émilise Lessard-Therrien a provoqué une onde de choc sur la scène politique québécoise. Il s’agit de la deuxième femme déçue qui quitte le parti en critiquant le co-porte-parole masculin, Gabriel Nadeau-Dubois. L’ex-députée Catherine Dorion avait, elle aussi, exprimé ses récriminations sur la place publique.

Ces deux départs hyper médiatisés, suivis de celui, mercredi, d’Élisabeth Labelle, bénévole au comité de coordination national1, mettent en lumière des tensions au sein d’un parti qui est censé se distinguer de ses adversaires par son fonctionnement très démocratique. Un parti envers lequel les membres d’hier et d’aujourd’hui ont de grandes attentes.

C’est le cas d’Éric Martin, militant de la première heure issu de l’Union des forces progressistes, ce parti de gauche qui a fusionné avec Option citoyenne en 2006 pour donner naissance à Québec solidaire. M. Martin, aujourd’hui enseignant de philosophie au cégep, ne cache pas son amertume. Bien qu’il n’ait plus sa carte de membre de QS, il est très critique à l’endroit de son ex-parti. « Quand on a fondé QS, on ne voulait pas être comme les autres, lance-t-il. On ne voulait pas de hiérarchie, pas de domination patriarcale. »

« Ce parti épousait une manière de faire différente des autres, poursuit-il. Là, on dirait qu’il y a un effet de normalisation. La base est de plus en plus insatisfaite et je trouve que les départs de Catherine et Émilise, en plus de remettre en question la place des femmes et des régions dans ce parti, devraient sonner l’alarme. »

Une nécessaire remise en question

La crise qui secoue QS ces jours-ci soulève des questions intéressantes : peut-on espérer faire les choses différemment en politique tout en évoluant à l’intérieur d’un système parlementaire qui est par définition très encadré et normé ?

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Émilise Lessard-Therrien a démissionné cette semaine de son poste de co-porte-parole féminine de Québec solidaire.

Est-ce vrai que Québec solidaire s’est professionnalisé ? Qu’il a trahi ses valeurs fondamentales ? Ou, pour reprendre les mots de certains commentateurs politiques, est-il un repaire de poètes qui ressemble davantage à « une association étudiante » qu’à un parti politique mature ?

En point de presse mercredi, le co-porte-parole Gabriel Nadeau-Dubois a promis qu’il y aurait des débats de fond lors du congrès national de Jonquière, à la fin de mai. Il y aura sans doute des discussions difficiles, mais est-ce que cela signifie que QS doit « rentrer dans le rang » ?

« Québec solidaire est un véritable laboratoire politique, ce serait trop facile de dire que ça ne marche pas », lance Jonathan Durand Folco, professeur à l’École d’innovation sociale de l’Université Saint-Paul, à Ottawa.

On entend par exemple des gens dire qu’il faudrait lâcher le concept des deux porte-parole. Or, cela contribuerait à normaliser le parti qui n’aurait plus sa spécificité et son élément de fraîcheur.

Jonathan Durand Folco, professeur à l’École d’innovation sociale de l’Université Saint-Paul

« Faire de la politique autrement, qu’est-ce que ça veut dire au juste ? », demande pour sa part Pascale Navarro, autrice de l’essai Femmes et pouvoir : les changements nécessaires. Plaidoyer pour la parité.

« Faire les choses autrement, ça peut vouloir dire beaucoup de choses, poursuit-elle en citant l’exemple de l’ex-députée péquiste Véronique Hivon, une réformiste plutôt qu’une révolutionnaire, qui s’est servie des leviers existants pour apporter des éléments nouveaux en politique, comme la transpartisanerie. »

Mme Navarro, qui est impliquée au sein du groupe Femmes, politique et démocratie, estime que même si Gabriel Nadeau-Dubois est porte-parole, il en est tout de même venu à incarner la figure du chef tel qu’on l’entend. « Là, on a deux femmes qui ne se sont pas senties à leur place, rappelle l’autrice et conférencière. En politique, on brandit trop souvent les femmes comme une victoire, mais on dirait qu’on ne pense pas à ce qu’on fera avec elles ensuite. On ne réfléchit pas à la place qu’on veut leur accorder. QS doit se demander ce qu’il veut faire avec ce poste de co-porte-parole. »

Du côté de la France

Pour trouver des modèles politiques différents, et inspirants, il faut regarder ailleurs, croit Jonathan Durand Folco. En France, notamment, au sein du mouvement municipaliste.

« On y trouve des coalitions de groupes citoyens qui se mettent ensemble et élaborent un projet politique, explique l’auteur de Réinventer la démocratie : de la participation à l’intelligence collective, aux Presses de l’Université d’Ottawa. La coalition élit des représentants ou les choisit au tirage au sort. Ça reste des courants marginaux, c’est vrai, mais ce sont des exemples où les chefs ou représentants n’ont pas de chèque en blanc. La personne qui représente le groupe est redevable et son titre est révocable si elle n’est plus légitime. »

Le mécanisme de révocation politique, ou recall, est un autre exemple d’approche très démocratique, explique M. Durand Folco. Utilisé dans plusieurs États, dont la Californie, il a inspiré un projet de loi du Parti québécois l’an dernier. « Cette capacité de révoquer le mandat d’un élu est un contre-pouvoir pour que l’élu garde le contact avec l’assemblée consultante, souligne le professeur. Ça vient avec davantage d’exigences et de consultation. Ça prend plus de temps, mais ça fait en sorte que ce n’est pas juste le chef qui impose ses décisions. »

La politique ne doit pas se limiter à quelque chose de cartésien et pragmatique, selon lui. « Il ne faut pas négliger la partie émotionnelle et la part de rêve qui font aussi partie de la politique. »

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

L’ex-députée solidaire Catherine Dorion

À son avis, Émilise Lessard-Therrien et Catherine Dorion ont incarné une certaine fougue, et « il faut qu’il y ait de la place pour ces voix-là à l’intérieur de QS », estime-t-il.

Un point de vue partagé par Pascale Navarro. « On a deux filles qui ont remis en question leur parti, souligne-t-elle. Personne ne ferait ça dans les autres partis. Je suis contente de voir des gens essayer de changer des choses. Comme co-porte-parole, Émilise Lessard-Therrien a semé l’espoir. Qu’est-ce qui arrive à cet espoir maintenant ? »

1. Lisez « Crise à Québec solidaire : une autre démission au comité de coordination national » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue

Appel à tous

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