L’affrontement entre le gouvernement et les employés de l’État permet à toutes sortes de clichés de revenir à la surface du débat public : les syndicats contrôlent tout, l’administration publique est nécessairement inefficace, on ajoute des couches de bureaucratie sans jamais en enlever, etc.

Histoire de commencer les vacances de Noël sur une note positive, je tiendrai donc ici un contre-discours. Je rendrai hommage à un groupe qui n’est pas en grève, mais qui est particulièrement victime de ces préjugés : les cols bleus.

Aïe ! Je vous entends hurler !

Vous allez me raconter la fois où vous avez vu cinq cols bleus autour d’un trou qui en regardaient un sixième travailler ?

Laissez-moi plutôt vous raconter d’autres histoires.

Les camions des bleus

Le camion d’une équipe des Travaux publics, c’est en quelque sorte un royaume. Les bleus y passent une bonne partie de leurs journées, et l’organisation interne du camion relève traditionnellement de l’équipe qui l’utilise.

Il y a quelques années, le Service des travaux publics de la Ville de Gatineau a entrepris une réorganisation complète du parc de camions. Chez les patrons comme chez les employés, les sceptiques étaient nombreux quant à la capacité de changer des habitudes bien ancrées.

L’exercice était rendu nécessaire, notamment parce que le travail des bleus se complexifie. Les outils changent, les pièces à remplacer ne sont plus les mêmes, certaines spécialités exigent maintenant des ordinateurs portatifs et le camion doit s’y adapter. Plusieurs personnes pensaient même qu’il fallait passer à des modèles de camion plus gros. Disons-le aussi, certains « royaumes » avaient besoin d’un grand ménage. Pourquoi transporter plusieurs pièces similaires ou encore trois ou quatre clés à molette de la même taille quand une seule fait l’affaire ?

Finalement, le manque d’uniformité de l’organisation des camions nuisait à la productivité : quelqu’un qui changeait de camion avait du mal à s’y retrouver. Il était temps de revoir tout cela.

Le syndicat a été associé à l’exercice dès le début, et les employés ont participé à chaque étape de la démarche : les sceptiques ont été confondus. Réflexion sur les nouveaux besoins, sur les équipements devant absolument être dans le camion, sur ceux qui pouvaient rester dans les ateliers, sur l’organisation physique de l’ensemble, tout a été fait en équipe.

Les soudeurs et les électriciens ont refait eux-mêmes toute la structure intérieure du camion, les tables de travail, les panneaux muraux, revu toutes les installations électriques, etc. Presque tout a été fait maison.

Résultat ? Les camions ont été modernisés, ils ont la même taille qu’avant, ils contiennent maintenant juste l’équipement nécessaire, ils sont moins lourds, consomment moins d’essence et, parce que les espaces sont uniformes d’un camion à l’autre, le travail y est plus efficace.

Toutefois, la retombée principale du projet a été la fierté. Des hommes et des femmes qui, auparavant, partaient à la seconde où leur quart de travail se terminait, choisissaient maintenant de rester un peu plus longtemps pour tout replacer avant de partir, histoire de démarrer la journée du lendemain dans un camion impeccable.

Le personnel a fait le même exercice avec les ateliers municipaux. Après la réorganisation, nous avions vendu de vieux équipements, réduit nos stocks, recyclé du métal, gagné de l’espace et, encore une fois, généré de la fierté. Les cols bleus aiment le travail bien fait.

Des inventeurs

Les cols bleus se transforment aussi parfois en inventeurs. Durant les inondations de 2017, ils ont inventé une méthode pour remplir plusieurs sacs de sable à la fois, en utilisant des cônes orange comme entonnoir. Cette année, à la toute dernière minute, ils ont pu remplacer une valve électrique sur un véhicule d’incendie par une valve manuelle de leur invention, permettant ainsi à un spectacle extérieur d’avoir lieu en toute sécurité.

Une petite dernière. Les plaques (couvercles) d’égout⁠1 sont très lourdes, elles peuvent peser plus de 50 kg. Leur manipulation est difficile et peut facilement occasionner des blessures.

Avec l’appui de leurs patrons, deux contremaîtres et un mécanicien-soudeur de Gatineau ont inventé un système magnétique de levage assisté⁠2. Le mécanisme permet de retirer et de replacer les couvercles d’égout à l’aide d’un treuil électrique sans avoir à déplacer le camion. Le recours à la force physique a été éliminé. L’invention a été faite complètement à l’interne, l’appareil a été certifié par une firme d’ingénierie indépendante, et la technologie a été offerte gratuitement aux autres villes.

Et les cols bleus autour d’un trou ?

Si vous voyez des scènes comme celle-là, prenez une photo, notez l’heure et le lieu, et envoyez tout cela à l’élu de votre quartier. S’il y a quelque chose à corriger, la Ville le fera, car les équipes municipales aiment le travail bien fait !

On se retrouve en 2024, joyeuses Fêtes !

1. Les « plaques » d’égout, généralement circulaires en fonte épaisse, servent à fermer les « regards » d’égout, des compartiments par lesquels on a accès aux égouts pour les récurer.

2. Consultez le communiqué de la Ville de Gatineau Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue