L’offre est absolument spectaculaire. Elle m’a été présentée par Alain Branchaud et Marie-Pierre Beauvais, de la SNAP – la Société pour la nature et les parcs du Canada.

« On pense, de façon très réaliste, pouvoir protéger 30 000 km⁠2 de territoire dans le sud du Québec dans les quatre prochaines années », me lance M. Branchaud, directeur général de la section québécoise de la SNAP, lors d’une entrevue dans les locaux de l’organisation.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Le directeur général de la SNAP Québec, Alain Branchaud

La superficie qu’évoque M. Branchaud équivaut à la grandeur de la Belgique. On parle de 63 fois l’étendue de l’île de Montréal, de 20 fois le parc national du Mont-Tremblant. C’est 1,8 % de toute la superficie du Québec.

Le coût pour réaliser ce tour de force ? La SNAP Québec demande « entre 10 et 15 millions » de dollars au gouvernement du Québec. Des pinottes. En 2022, lors de la COP15 sur la biodiversité tenue à Montréal, le gouvernement Legault s’était engagé à investir 650 millions pour atteindre l’objectif de protéger 30 % de son territoire d’ici 2030. Nous sommes actuellement à 17,68 %.

L’offre de la SNAP est donc une aubaine – d’autant plus qu’elle vise le sud du Québec, là où la protection est la plus difficile.

Pendant qu’Alain Branchaud s’avance ainsi, je jette un coup d’œil à Marie-Pierre Beauvais, directrice des aires protégées pour le sud du Québec. Loin de regarder son patron comme s’il était en plein délire, elle hoche la tête et affiche des cartes sur son écran d’ordinateur.

Tout indique que leur plan est sérieux.

L’idée de la SNAP est simple : protéger des zones qui sont déjà sous la supervision de gestionnaires qui tiennent à la nature. Quatre types de territoires sont dans leur viseur : les pourvoiries, les zecs (zones d’exploitation contrôlées), les parcs régionaux et les réserves fauniques.

Ces terres publiques sont souvent vues comme des havres naturels, notamment par les pêcheurs et les chasseurs. Pourtant, la conservation n’y est pas assurée et l’exploitation minière et forestière y est possible. Il existe donc un véritable intérêt à les protéger.

« Il y a une volonté incroyable des gestionnaires de ces territoires de protéger leur capital nature. Et on a réussi à réunir ces gens sous le parapluie de la SNAP », dit M. Branchaud.

« Ce sont majoritairement des territoires accessibles au public, où il y a déjà des infrastructures et un accès à la nature », souligne quant à elle Marie-Pierre Beauvais. « Quand tu les mets bout à bout, ils sont tous collés. C’est comme un immense corridor qui traverse le Québec. Ça serait tellement logique en termes de retombées pour la biodiversité. »

Elle me montre une carte, reproduite ici, qui illustre le corridor en question s’étendant sur des centaines de kilomètres au nord du fleuve Saint-Laurent.

FOURNIE PAR LA SNAP QUÉBEC

Un projet emballant, vous dites ?

En tout, l’ensemble des pourvoiries, zecs, parcs régionaux et réserves fauniques totalise 100 000 km⁠2. La SNAP, consciente que certains obstacles comme les claims miniers surgiront à certains endroits, fait le pari d’en protéger 30 %.

Le ministère de l’Environnement confirme être « en discussion » avec l’organisation à ce sujet.

Des projets qui fonctionnent

Quand la SNAP Québec dit pouvoir protéger des territoires, elle ne fait pas dans la fanfaronnade. Elle peut appuyer ses prétentions sur des résultats probants.

En octobre 2021, le groupe a reçu 3,3 millions du ministère de l’Environnement pour appuyer des projets de conservation. Nom de code du programme : Plein aire.

L’idée est d’accompagner les municipalités ou les groupes écologistes qui veulent protéger des territoires. La SNAP aide à établir le plan de match et conseille les porteurs de projets sur la façon de communiquer avec les citoyens, les élus ou les opposants. Elle peut aussi fournir du soutien technique pour cartographier les territoires ou dresser des inventaires de biodiversité, par exemple. Elle aide aussi aux relations avec les communautés autochtones.

Bref, elle apporte la structure nécessaire pour protéger de vastes territoires des coupes et de l’exploitation des ressources.

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La directrice des aires protégées pour le sud du Québec à la SNAP, Marie-Pierre Beauvais

On vient outiller des gens qui veulent créer des aires protégées, mais qui ne savent pas toujours comment s’y prendre.

Marie-Pierre Beauvais, directrice des aires protégées pour le sud du Québec à la SNAP

Les résultats parlent d’eux-mêmes. Pas moins de 21 projets totalisant 6000 km⁠2 ont été soutenus. Du lot, cinq dossiers peuvent être considérés comme réglés (ils ont minimalement fait l’objet de ce qu’on appelle une « annonce d’intention de mise en réserve »).

Alain Branchaud et Marie-Pierre Beauvais insistent sur une chose : le coût de protéger des terres publiques est extrêmement bas. Ils m’ont interpellé après la publication d’un dossier où j’expliquais comment des propriétaires privés choisissent de consacrer leurs terrains à la protection contre des avantages fiscaux⁠1.

M. Branchaud et Mme Beauvais sont diplomates et reconnaissent la valeur de ces initiatives. Mais en lisant entre les lignes, on comprend qu’ils souhaiteraient que la protection des terres publiques fasse l’objet d’autant d’attention de la part des gouvernements.

Selon leurs chiffres, la protection des terres privées coûte en moyenne 55 000 $ l’hectare, contre de 100 $ à 200 $ l’hectare pour les projets en terres publiques. Il faut avouer que c’est une sacrée différence.

Ce que propose la SNAP Québec est audacieux. Mais bien honnêtement, je me demande ce que le gouvernement a à perdre dans ce dossier. Si j’étais lui, je prendrais l’organisation au mot et je la mettrais au défi de réaliser son pari.

1. Lisez le dossier « Protéger la nature… un terrain à la fois » Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue