J’ai vu le film La zone d’intérêt, qui a été nommé dans la catégorie du meilleur film aux Oscars.

C’est l’histoire du commandant Rudolf Höss et de sa famille, qui vivent paisiblement dans leur propriété, laquelle est accotée sur les murs du camp d’extermination d’Auschwitz. Höss étant le dirigeant historique du camp. La description d’une tragique indifférence à voisiner l’horreur.

J’ai visité les anciens camps d’Auschwitz et de Birkenau, en Pologne. Répulsif !

En revisionnant le film dans ma tête, je me suis répété que si je possédais la faculté de reculer dans le temps et d’utiliser comme métaphore la théorie de l’effet papillon, je me programmerais pour atterrir dans la capitale autrichienne, au début du XXe siècle, afin de changer le cours de l’existence de Christian Griepenkerl, le con qui a refusé la candidature d’Adolf Hitler, deux fois plutôt qu’une, à l’Académie des Beaux-Arts de Vienne.

Le résultat escompté aurait été de sauver des dizaines de millions de vies perdues lors de la Seconde Guerre mondiale.

La théorie de l’effet papillon a été formulée par un météorologue, Edward Lorenz, pour extrapoler sur la prédictibilité, en posant la question suivante : « Le battement d’aile d’un papillon au Brésil peut-il déclencher une tornade au Texas1 ? »

Un peu pervertie scientifiquement, cette théorie pourrait être utile si on savait comment reculer dans le temps afin d’intervenir pour changer un évènement pas si important que ça, mais qui aurait des conséquences énormes dans le futur.

J’imagine déjà ce que j’aurais pu inventer pour empêcher Griepenkerl d’humilier le futur Führer, qui, comme le businessman de Starmania et son blues, voulait être un artiste. La seule question aurait été la limite morale que je me serais imposée…

Bien sûr, vous me direz que je n’y connais rien, mais je ne les trouve pas si mal, les esquisses présentées par Hitler à l’Académie. Tout un prétentieux, ce Griepenkerl, moi j’aurais dit oui drette là !

Un Hitler heureux, admis dans cette institution, et 99 % de chances que le Führer n’existe jamais.

Le sentiment qui m’est resté après avoir vu ce film m’a amené à remettre le nez dans une lecture faite dans la dernière année : Aftermath : Life in the Fallout of the Third Reich, 1945-1955, du journaliste allemand Harold Jähner.

Costaude est l’idée d’expliquer le quotidien allemand de ces 10 années suivant la guerre, et on a très peu écrit sur cette période.

J’ai longtemps fait une fixation pour tenter, au travers de combien de lectures, de découvrir, comme des milliers d’individus, je suppose, et en vain, LA journée où Hitler a décidé, ou donné l’ordre, de procéder à l’extermination des Juifs.

Comme sur cette conférence de Wannsee de 1942, où des dirigeants allemands ont convenu de l’opérationnalisation de la « solution finale ».

Et aussi, combien de temps à tenter de bien saisir l’environnement social et politique de cette étrange période de la république de Weimar, l’entre-deux-guerres, qui a mené à l’élévation au pouvoir d’Hitler en Allemagne.

Je me souviens encore de mon premier séjour à Munich, où presque en descendant de l’avion, j’ai parcouru la ville pour identifier l’emplacement de la brasserie Bürgerbraükeller, où se réunissaient Hitler et ses sbires, et d’où il a échappé miraculeusement à un attentat en 1939. Et la Löwenbraükeller, l’autre buvette dont il fut un habitué.

Le livre de Jähner débute avec la capitulation du régime nazi, le 7 mai 1945.

À cette date, les quelque 75 millions de personnes vivant sur le territoire allemand sont cachées, ou ensevelies sous 500 millions de mètres cubes de décombres.

Mais à Berlin, ce n’était pas alors la principale préoccupation. Parce que l’entrée de l’Armée rouge dans la ville fera des femmes les principales victimes, encore, parce que comme beaucoup le font en Ukraine, des soldats russes s’adonneront à leur sport préféré d’envahisseurs en temps de guerre : le viol.

À Dresde, capitale de la Saxe, le land allemand, le travail de nettoyage des décombres s’est achevé seulement 35 ans plus tard, en 1977.

Des 75 millions d’habitants, une quarantaine de millions étaient des personnes dites « déplacées », c’est-à-dire qu’elles étaient loin de leurs foyers d’avant-guerre, pour toutes sortes de raisons, ne souhaitant pas être là où elles étaient, comme autant d’errants.

Des millions de prisonniers, de soldats allemands, d’urbains qui avait fui à la campagne, des populations de l’Est qui avaient fui avec l’arrivée des Russes, etc.

Alors, imaginez tout ce monde rôdant, tels des sans-abri, ou tentant de retourner chez eux alors que l’Allemagne est détruite : infrastructures quasi inexistantes, famine, et son corollaire, la violence pour survivre.

Chaotique, vous dites ?

Un livre monographique dont l’intérêt principal a été pour moi l’analyse psychologique du sentiment complexe de non-culpabilité des Allemands de l’époque.

Ou comment ils ont presque réussi à se victimiser, a fortiori, par rapport au régime nazi, à refouler leur responsabilité collective et à vivre ce paradoxe du « silence communicatif » sur les conséquences de la Shoah et du reste du désastre, tel que théorisé par un philosophe du nom d’Hermann Lübbe.

D’où le lien dramatique pour tenter de comprendre l’indifférence des protagonistes de La zone d’intérêt…

Troublant !

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Entre nous

Dans la même veine : Leur Seconde Guerre mondiale, de Bruno Halioua. Comment, enfants ou jeunes adultes, les Chirac, Giscard d’Estaing, Beauvoir, Sagan, Brassens et autres personnalités françaises ont vécu les années d’occupation allemande en France.

Et une autre biographie publiée récemment sur cette magnifique politicienne française et juive qui a vécu les camps de la mort, Simone Veil : les combats d’une immortelle. Par Laurène Vernet.