Prenez ça comme une humble contribution au débat public : je suggère d’organiser la toute première journée sans métro.

Je dis métro, mais j’inclus là-dedans les autobus publics, les trains de banlieue, le REM. On laisse les véhicules des sociétés de transport au garage pour 24 heures et on donne congé aux conducteurs.

Après tout, il existe bien une journée sans voiture. Pourquoi pas une journée sans transport collectif ?

Je blague – mais seulement à moitié. Je rêve parfois réellement d’une telle journée. Je m’assoirais avec un popcorn et je regarderais la désorganisation gagner les grandes villes du Québec.

Ponts bloqués. Classes à moitié vides. Interventions chirurgicales annulées faute d’infirmières pouvant se rendre au travail. Rien pour se réjouir, on s’entend. Mais peut-être faudrait-il cette preuve par l’absurde pour que nos politiciens provinciaux réalisent, au son des klaxons, que le transport collectif n’est pas qu’une grosse patente qui coûte cher, mais aussi un service essentiel.

Catherine Morency, titulaire de la Chaire Mobilité à Polytechnique Montréal, m’a aidé à imaginer ce à quoi pourrait ressembler une telle journée sans transport collectif dans la grande région de Montréal. Je vous jure qu’on en tire des enseignements intéressants.

PHOTO CAROLINE PERRON, FOURNIE PAR CATHERINE MORENCY

La professeure au département des génies civil, géologique et des mines à Polytechnique Montréal, Catherine Morency

En semaine, les trajets parcourus par l’ensemble des usagers du transport collectif dans la région métropolitaine représentent l’équivalent de près de 15 millions de kilomètres 1, 2. C’est 39 fois la distance Terre-Lune !

Que se passerait-il si on éliminait ces trajets ?

Environ 28,5 % des usagers des transports en commun de la région métropolitaine sont dits « captifs », c’est-à-dire qu’ils n’ont pas de voiture. Une proportion de ceux-ci pourrait se déplacer à vélo ou à pied.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, ARCHIVES LA PRESSE

Lors d’une journée sans métro, une proportion de Montréalais pourrait opter pour le vélo.

Certains pourraient télétravailler. Mais ce n’est pas le cas des travailleurs d’usine, des préposées aux bénéficiaires, des enseignantes, des infirmières, des éducatrices de garderie. Il faut ajouter les élèves et étudiants, qui comptent pour 36 % des usagers du transport collectif et qui ne peuvent pas tous étudier de la maison.

Des dizaines de milliers de personnes seraient donc prises chez elles.

De façon générale, ceux qui ont les plus faibles revenus ou qui n’ont pas le luxe ou le privilège de conduire – enfants, personnes âgées, personnes avec des limitations – seraient les plus pénalisés. On oublie trop souvent que la question du transport collectif implique des enjeux d’équité majeurs.

Catherine Morency, titulaire de la Chaire Mobilité à Polytechnique Montréal

L’effet domino toucherait tout le monde. Parce qu’une éducatrice de garderie qui ne rentre pas travailler peut sérieusement compliquer la journée d’une avocate ou d’une médecin.

Les chiffres montrent que 38,4 % des usagers du transport collectif vivent dans des ménages où il y a autant de voitures que de détenteurs de permis de conduire. Si tous ces gens sautaient dans leur véhicule, la distance totale parcourue par ces nouvelles autos sur les routes atteindrait près de 5 millions de kilomètres (à raison de 1,2 personne par voiture, le ratio actuel).

« Ce serait le gridlock [embouteillage] complet un peu partout », commente la professeure Morency.

Plus on s’éloigne du centre de Montréal, plus la proportion de déplacements qui se fait en transport collectif décroît. À première vue, on peut penser que les banlieusards seraient donc moins touchés par l’arrêt du transport collectif que les Montréalais puisqu’ils l’utilisent moins.

Mais l’experte prévoit exactement le contraire.

Les plus pénalisés vont être les gens des banlieues. Parce que la capacité routière disponible va être utilisée par les Montréalais – les rues, les artères, les autoroutes, les stationnements. Ils vont utiliser toute la capacité disponible au centre, avec un effet tsunami vers les territoires moins centraux.

Catherine Morency, titulaire de la Chaire Mobilité à Polytechnique Montréal

Je trouve ce dernier constat particulièrement éclairant. Un résidant de Belœil ou de Blainville qui utilise sa voiture pour se rendre à Montréal peut avoir l’impression que le métro ne lui apporte rien – et on le comprendrait de raisonner ainsi. Mais on voit que cette perception ne pourrait être plus fausse.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Une journée sans métro provoquerait un effet domino qui toucherait tout le Grand Montréal.

En plus de provoquer de la congestion et des impacts économiques à la chaîne, une journée sans métro générerait une augmentation de la pollution, du bruit, des risques d’accident et du stress (les études montrent que les gens jugent plus stressant de conduire que de prendre le train ou l’autobus, particulièrement dans la congestion routière).

Il existe évidemment des façons moins radicales de prendre conscience des impacts positifs des transports en commun que de paralyser ceux-ci pendant 24 heures. L’une d’entre elles est de lire l’éclairant rapport de 141 pages mis à jour ce mois-ci par le Victoria Transport Policy Institute3.

On y dresse une liste des coûts bien réels des réseaux de transport en commun, mais aussi de leurs bénéfices.

« La planification conventionnelle des transports tend à négliger ou à sous-évaluer plusieurs de ces bénéfices, ce qui résulte en un sous-investissement des services de transport collectif », écrivent les auteurs dans une phrase qu’on aimerait imprimer dans un biscuit chinois et livrer à la ministre des Transports et de la Mobilité durable, Geneviève Guilbault.

Ces bénéfices négligés touchent des aspects aussi divers que le budget des ménages, la protection des terres agricoles, la diminution des accidents ou la cohésion des communautés.

Le rapport montre noir sur blanc que même si les transports en commun coûtent très cher, les bénéfices en surpassent les coûts (ratio de 1,3 à 2,9 selon divers scénarios étudiés).

Comme le réseau routier, le réseau de transport collectif représente les veines et les artères de nos villes. Les travailleurs, les étudiants, les familles, les consommateurs qu’il déplace sont l’oxygène de nos communautés.

Actuellement, les discussions publiques portent presque uniquement sur les coûts des réseaux de transport collectif. Il serait temps de considérer les bénéfices dans l’équation. Sinon, ça revient à se plaindre qu’un âne coûte cher en foin. En oubliant la marchandise qu’il transporte sur son dos.

1. Cette estimation et celles qui suivent viennent de l’enquête Origine-Destination 2018, la plus récente.

2. Consultez l’enquête Origine-destination 2018 3. Lisez le rapport du Victoria Transport Policy Institute Evaluating Public Transit Benefits and Costs (en anglais) Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue