Quelle idée que d’aller rencontrer le poète, écrivain et professeur de littérature Pierre Nepveu, moi qui ne suis pas littéraire, et encore moins poète ! Connu pour sa biographie remarquable de Gaston Miron (2011), Nepveu a fait paraître en 2022 un essai au titre intrigant et au contenu tout à fait singulier : Géographies du pays proche, poète et citoyen dans un Québec pluriel.

J’ai voulu aller en discuter avec son auteur, plus particulièrement de ses réflexions sur l’identité et le pluralisme. Cet essai a fait l’objet de recensions et de critiques, mais moins largement que je me le serais imaginé.

Pierre Nepveu m’explique que ce sont surtout les historiens et sociologues qui parlent de nation, d’immigration et de langue, en opposant souvent le nationalisme identitaire au multiculturalisme. « Quant à moi, je suis peut-être trop littéraire et trop nuancé dans mes réflexions, m’explique-t-il. De plus, la dimension du poète et de la poésie dans mon livre a peut-être rebuté les gens. »

En effet, à première vue, le rôle de la poésie dans une réflexion sur la question identitaire et du vivre-ensemble peut paraître déroutant. L’auteur s’explique : « L’attitude poétique, c’est l’attention à ce qui est, simplement, devant moi. » Il ajoute que chacun donne une signification personnelle à ce qu’il voit et ressent, et cela s’applique à la rencontre de l’autre, de l’inconnu. Il faut accepter de se laisser déposséder et dépayser par les rencontres qui nous sortent de notre zone de confort.

En rencontrant l’autre, on devient un peu cet autre et c’est ce qui peut faire la richesse d’une société, selon Nepveu. L’ex-professeur de psychologie que j’ai été dirait aussi : le choc de l’autre, c’est ce qui construit notre identité, si tant est qu’on se laisse atteindre par lui.

Ce recours plus littéraire pour décrire une sorte de plasticité nécessaire à notre ouverture d’esprit, du corps et des émotions nous aiguille rapidement vers le terrain de l’accueil « des autres », des « non-nous ». C’est un effort qui exige d’être sans cesse renouvelé, une déstabilisation créatrice à laquelle nous convoque constamment l’inconnu.

Nepveu se décrit avant tout comme un humaniste-poète qui souhaite un monde pluriel bien loin de la notion de multiculturalisme, mais tout autant de celle qu’il qualifie de crispation identitaire. Il s’inquiète que toute altérité apparaisse à certains comme une menace, une provocation insupportable, ou qu’on lui applique une étiquette identitaire qui ne fait que souligner une « différence », sans en interroger le contenu. « Je sais exactement qui je suis et je sais exactement qui tu es, voilà le contraire même d’une vision poétique du monde », écrit-il dans son essai.

Ce n’est pas sans péril que de s’ouvrir à l’altérité et au déséquilibre que cela peut provoquer. « Ce qui est étranger à ma propre condition et irréductible à mon identité peut toujours me devenir proche, à condition d’habiter et de perturber ma propre intimité, de réveiller des traces de ma propre vie… et de fouiller cette intérieure différence où je suis toujours en exil de moi-même, en pays perdu », écrit-il.

Dans cette optique, le pluralisme comme principe démocratique détermine forcément une vision interculturelle de la société québécoise contemporaine, capable à la fois de mettre en œuvre des références communes et de rester ouverte à la diversité et à la nouveauté. Mais il s’agit tout autant d’un rapport au monde, d’une manière de sentir notre réalité collective dans son foisonnement d’expériences sensibles, de lieux, de paroles, où chacun tisse son destin.

Pierre Nepveu est un fier citoyen de ce qu’il appelle son « pays proche », ce Québec qu’il aime profondément, autant dans sa géographie variée que dans son passé de luttes et souvent de misère, mais aussi dans le présent aux contours différents et pluriels et dans son avenir encore bien incertain.

Appartenir au territoire

Nepveu insiste pour parler de territoire. Il rappelle que le territoire ne nous appartient pas. C’est plutôt l’inverse : c’est nous qui lui appartenons. Et le territoire peut à tout moment reprendre ses droits, comme le prouvent abondamment depuis plusieurs années les changements climatiques.

Les humains sont de passage sur un territoire qui était là avant eux, et qui leur survivra. Un territoire ne peut pas se définir uniquement par la segmentation de qui y habite ou aurait le droit d’y vivre, mais bien par la notion selon laquelle plusieurs humains foulent un espace défini qui les héberge et dont ils doivent collectivement assurer la protection. C’est ce qu’ont compris les nations autochtones depuis fort longtemps, ajoute-t-il.

Dans Le Devoir, Gérard Bouchard a écrit à propos de cet essai : « Pierre Nepveu est un remarquable conciliateur, un “dé-noueur” d’impasses. Il n’aime pas les binarités commodes, les pensées polarisantes, hostiles à la nuance. Nous avons grand besoin d’intellectuels de ce genre. »

C’est une chance et un privilège de rencontrer cet « humain bienveillant », ce poète qui ose nous offrir ses réflexions sur un Québec pluraliste. Un Québec dont la diversité fait la richesse, à l’instar de la diversité biologique qu’on retrouve dans la nature, explique-t-il en faisant référence aux travaux du frère Marie-Victorin.

Pierre Nepveu a d’ailleurs souvent évoqué l’écologie durant notre rencontre et dans ses réflexions. Pas étonnant qu’il aime se décrire comme : « un écologiste du réel ».

Qu’en pensez-vous ? Participez au dialogue