Certains matins, je lis Le Journal de Montréal et j’ai peur.

D’autres jours, je repense au triomphe récent du Québec au Festival du livre de Paris et j’exulte.

Il sera ici question de la situation du français au Québec.

Le journal de Québecor titre la catastrophe quotidiennement. Le plus récent rapport de l’Office québécois de la langue française (OQLF), lui, parle de stabilité. Pour certains linguistes jovialistes, tout va tellement bien. Et si je lis Mathieu Bock-Côté, je devrai parler à mon chat en anglais d’ici trois mois pour qu’il me comprenne…

Dire que la situation est complexe et le débat polarisé relève de l’euphémisme. Nous avons tous le nez collé sur le problème, et notre lecture est empreinte d’émotivité. Qui croire ? Qui dresse le portrait le plus juste de la situation ? Dois-je paniquer ?

Il y a les perceptions, tenaces, comme celles ressenties au centre-ville de Montréal, à Laval, où la proéminence de l’anglais dépasse le folklorique « Bonjour-Hi ». Mais il faut se méfier des impressions, même si elles nous rentrent dedans. Il faut leur faire passer le test des chiffres et des données.

C’est là qu’interviennent les données de l’OQLF sur la langue dans les commerces.

Si l’accueil en français y a chuté de 84 % à 71 %, près de 97 % des clients disent avoir pu être servis en français. De plus, en 2022, 79 % des Québécois utilisaient le plus souvent le français dans l’espace public, un chiffre stable depuis une quinzaine d’années.

Soit, on peut tout faire dire aux statistiques, mais voici qui calme (un peu) le pompon.

Oui, mais…

Il y a des facteurs réels, tangibles, qui viennent alimenter le débat sur la résistance du français.

La géographie, d’abord. Nous sommes au Canada, où l’importance numérique et politique du français est en déclin, merci à la politique postnationale de Justin Trudeau et au néolibéralisme. Et nous sommes en Amérique du Nord, où nous formons une minorité enclavée représentant 2 % de la population. Une improbabilité historique, il n’y a pas d’autres façons de le dire.

La démographie, ensuite. Le nombre de francophones au Québec diminue, les flux migratoires augmentent. Nous peinons de plus en plus à franciser les nouveaux arrivants, surtout en milieu de travail. Selon l’OQLF, 40 % des entreprises québécoises et 63 % des montréalaises exigent la connaissance de l’anglais. Le manque de main-d’œuvre pousse à assouplir les exigences linguistiques.

La mondialisation de la culture fait le reste. Nos références sont de plus en plus anglophones. Le fatalisme et la démission tranquille sont à l’œuvre.

En 2000, la commission Larose a mené des états généraux sur la situation et l’avenir de la langue française. Les commissaires ont tataouiné. Pour eux, examiner la survie du français à travers le prisme des indicateurs démographiques allait faire de l’ombre au projet civique d’un Québec multiculturel, ouvert sur le monde. Comme si c’était incompatible ! Ils ont été frileux dans leurs recommandations. En fait, beaucoup de nos élites ont tout fait pour gommer l’enjeu de la survie du français, depuis. À force de déni et de tête dans le sable, la situation est maintenant qualifiée par certains de « catastrophique ». Voyons si les 603 millions débloqués par Québec seront accompagnés de mots forts et d’intentions qui nous galvaniseront.

Ma position sur la langue varie donc selon les jours.

Parfois, j’ai l’impression d’assister à un accident de char au ralenti.

D’autres jours, je me dis que c’est le destin et la vie des langues que de vivre et de disparaître.

Mais la plupart du temps, je suis époustouflée par notre vivacité linguistique.

Notre français est fringant et emprunte des voix multiples. Il a les mots âpres du joual du Centre-Sud chez Francis Ouellette dans Mélasse de fantaisie. Il flirte avec les langues autochtones chez Michel Jean, est irrésistible et complexe chez Alain Farah, familier et efficace dans STAT, joyeux et métissé chez Clay and Friends. Il est fort et puissant même quand il se fond sur des structures grammaticales anglaises, même quand il invente des mots. Il est rattaché à une culture, à une manière de voir la vie, de résister, de chanter, d’occuper le territoire, de raconter des histoires, de ne pas vouloir se taire. Notre parole est féconde et nourrie par tous ceux qui vivent ici.

Il va cependant falloir voir le danger. Notre pessimisme des mauvais jours est un réalisme. L’idéologisation a empoisonné cette discussion sur l’avenir du français au Québec et nous empêche d’adopter des solutions, tous ensemble.

Il faudrait être aux aguets et généreux. Renforcer l’arsenal législatif, oser le cégep en français obligatoire. Investir massivement en francisation, en alphabétisation et en lecture. Revaloriser auprès de tous la culture québécoise, l’afficher. Nous disposons de leviers individuels et collectifs pour affirmer et propulser notre culture et notre langue.

Des fois, je désespère.

Mais la plupart du temps, je me dis que nous, Québécois de toutes provenances, sommes trop têtes de cochon pour nous laisser disparaître. Ça n’arrivera pas. Nous revêtirons des armures de fierté et abandonnerons nos capes d’invisibilité.

Nous ne sommes pas tuables.

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