Vous me permettez une question ?

Qu’avez-vous retenu du plus récent palmarès des urgences de La Presse ?

À part bien sûr le fait que la situation s’améliore si peu que le ministre de la Santé, Christian Dubé, doit parfois avoir le goût de se rouler en boule sous son bureau et d’y passer la journée !

Après avoir lu le dossier de ma collègue Ariane Lacoursière au sujet du palmarès, j’ai pour ma part eu envie d’en discuter avec la commissaire à la santé et au bien-être, Joanne Castonguay, qui a publié en janvier le dernier de quatre rapports d’une étude intitulée Bien vieillir chez soi.

Car l’un des constats les plus significatifs de ce palmarès, à mon sens, c’est que le portrait des personnes qui se retrouvent aux urgences est en train de changer.

Tant le ministre Dubé que le président de l’Association des spécialistes en médecine d’urgence du Québec, Gilbert Boucher, ont souligné que le nombre de patients âgés qui se présentent aux urgences est en hausse.

Non seulement ça, mais près de 12 % des lits des hôpitaux sont occupés par des patients en attente d’« une place d’hébergement en CHSLD ou en soins à domicile ». Ils empêchent d’autres patients, aux urgences, d’avoir accès aux étages.

On savait déjà que notre échec collectif, lorsqu’il s’agit de bien prendre soin de tous nos aînés, a un impact sur l’état de santé de nos hôpitaux. On se rend compte que l’effet est de plus en plus prononcé.

« Ce n’est pas tellement les problèmes des urgences, mais les problèmes du : comment on prend en charge les personnes en grande perte d’autonomie. Tout ce qui ne marche pas dans le continuum de soins a des impacts aux urgences », résume Joanne Castonguay en entrevue.

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Joanne Castonguay en 2017

Elle n’est d’ailleurs « pas du tout étonnée » par les constats du palmarès de La Presse.

Ça fait maintenant deux ans que la commissaire étudie, avec son équipe, les soins et les services de soutien à domicile au Québec. Son diagnostic est précis et pertinent.

« Il n’y a pas assez de places en hébergement de longue durée dans les CHSLD, alors les gens sont hébergés dans des résidences ou y restent plus longtemps. Ce qui fait que dès qu’il y a une complication, on les envoie à l’hôpital », précise Joanne Castonguay.

« Et il n’y a pas suffisamment de médecins qui vont à domicile » sur une base régulière. Entre autres parce que les incitations financières ne favorisent pas cette pratique.

« Il faut donc changer les mécanismes de financement et réfléchir autrement. » Parce qu’en ce moment, « il n’y a pas assez d’attention qui est donnée pour prévenir les complications et identifier ce qui pourrait mener à des complications ».

Et si la tendance se maintient, la situation ne va pas aller en s’améliorant.

Le plus récent rapport de la commissaire démontre que si le Québec ne change pas la façon dont les soins et services de soutien à domicile pour nos aînés sont gérés, on se dirige tout droit vers un mur.

« La première section de notre rapport le dit : si on continue à travailler comme ça, le défi est impossible à relever », souligne Joanne Castonguay.

Il y a des chiffres terrifiants dans son rapport. À commencer par le fait que le nombre de personnes ayant des besoins de soins de longue durée, qui était de 324 400 l’an dernier, va bondir à 547 900 en 2040 !

Le vieillissement, ce n’est pas une maladie. Il faut arrêter de le traiter comme une maladie, parce que tant qu’on va le traiter comme une maladie, c’est ça qu’on va avoir.

Joanne Castonguay, commissaire à la santé et au bien-être

Malgré tout, Joanne Castonguay semble plus optimiste que pessimiste lors de l’entrevue.

« Ça fait 25 ans que j’analyse macro-économiquement les systèmes de santé et je n’ai jamais vu autant de volonté de changer les choses », explique-t-elle.

Elle cite entre autres le projet de loi 15, qui a mené à la création de Santé Québec, la société d’État qui sera dirigée par Geneviève Biron.

« Le grand constat de notre premier rapport, c’était que le Ministère est très préoccupé par les opérations, mais qu’il ne met pas assez d’accent sur la façon de réorganiser le système pour être capable de voir venir les grands problèmes, de travailler – justement – sur des nouveaux mécanismes de financement, de faire évoluer les politiques, etc. »

Dans la foulée de la création de Santé Québec, ça devrait changer. Si bien sûr la nouvelle PDG obtient « la marge de manœuvre » dont elle aura besoin de la part du ministère.

Joanne Castonguay semble aussi encouragée par « la créativité » et les « beaux projets » mis sur pied dans le réseau pour permettre à chaque aîné d’être autonome le plus longtemps possible.

Elle cite par exemple un projet dit de « paramédecine de régulation » mis sur pied en Montérégie il y a quelques années.

Le nom est opaque, mais le système est simple. Lorsque le 911 reçoit des appels non urgents d’aînés, « plutôt que de les mener aux urgences, ils vont envoyer des paramédicaux auprès de la personne, qui vont évaluer sa situation et s’assurer qu’elle ait un suivi approprié ».

Le problème, actuellement, c’est que cette culture d’innovation n’est pas encore assez stimulée par le système. En fait, c’est même parfois le contraire.

« La grande difficulté qu’on a, c’est que lorsqu’on a de belles innovations comme ça, qui fonctionnent, on n’est pas capable d’intégrer leur financement dans le système régulier. C’est ce sur quoi je veux travailler dans les prochains mois », précise la commissaire.

Mais elle plaide aussi, à long terme, pour un changement de culture : nous devons faire preuve de plus de bienveillance à l’égard de nos aînés. On s’en est rendu compte pendant la pandémie, souligne-t-elle. Il ne nous reste plus qu’à « l’intégrer dans nos façons de vivre ».

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