Marie-Hélène Bouchard et Simon Faucher ont vécu l’un des pires cauchemars pour des parents : perdre leur fils de 14 ans, mort dans un accident. Au pire jour de leur vie, ils devaient décider s’ils acceptaient de donner les organes de leur fils. En cette Semaine de sensibilisation au don d’organes et de tissus, voici leur histoire.

La mort

« Pouvez-vous faire reculer le temps ? », demande Marie-Hélène Bouchard au médecin aux soins intensifs.

Le médecin vient d’annoncer à Marie-Hélène Bouchard que son fils Shawn, 14 ans, a subi un accident de planche « longboard ». Que les médecins de l’hôpital Charles-Le Moyne ont tout fait pour sauver sa vie. Mais que Shawn est en état de mort cérébrale. Il est maintenu en vie artificiellement et ne se réveillera pas.

Tout ce qu’elle veut, c’est de retourner quelques heures plus tôt, avant la pire soirée de sa vie. « Je vais garder Shawn avec moi à la maison, il ne partira pas faire de la planche », jure la maman au médecin qui l’écoute, impuissant.

Quelques heures plus tôt, Shawn Faucher soupe à la maison en famille avec ses parents et son petit frère Thomas. Après le souper, il part faire de la planche sans son casque. Parce que les ados de 14 ans et le casque, ça ne va pas toujours de pair…

PHOTO JOSIE DESMARAIS, LA PRESSE

Marie-Hélène Bouchard

« Je le vois encore partir avec son sourire, raconte Marie-Hélène Bouchard avec émotion. Il était souriant, de bonne humeur. »

« Shawn, c’était un ado heureux qui aimait la vie », dit-elle.

Quand il rentrait quelque part, tout le monde le connaissait. C’était un garçon intensément bon. Il faisait du vélo de montagne, du skate. Il jouait de la guitare. Une semaine avant sa mort, il avait joué du Nirvana lors du spectacle de fin d’année à l’école.

Marie-Hélène Bouchard, à propos de son fils Shawn

Ce soir de juin 2019, Shawn est parti faire de la planche et n’est jamais rentré à la maison. Vers 21 h, après l’avoir cherché dans le quartier, ses parents appellent la police. Les policiers arrivent rapidement à la maison. Shawn a eu un accident, il faut se rendre à l’hôpital Charles-Le Moyne, sur la Rive-Sud de Montréal.

À l’hôpital, les médecins leur annoncent la pire nouvelle qu’on peut annoncer à des parents : Shawn est en état de mort cérébrale. Son état est irréversible. Il ne se réveillera pas.

« Le monde s’écroule », dit Marie-Hélène Bouchard.

Durant les pires 24 heures de leur vie, Marie-Hélène Bouchard et son conjoint Simon Faucher ont alors une décision à prendre : que faire avec les organes de leur fils ?

Le don

Le lendemain matin, Shawn est toujours maintenu en vie artificiellement.

Ses parents appellent la famille, les amis, les proches. Tout le monde se réunit à l’hôpital pour une cérémonie d’adieu. On joue de la guitare. On pleure.

En parallèle, les infirmières de Transplant Québec et le personnel de l’hôpital parlent à la famille Faucher du don d’organes.

Un don d’organes peut sauver la vie de celui qui le reçoit.

Pour la famille du donneur, savoir que le dernier acte d’un proche sera de sauver la vie d’un inconnu permet (parfois) de mettre un léger baume sur une douleur immense. « C’est une petite étincelle sur le tableau noir », dit la Dre Annie Lavigne, interniste intensiviste à l’hôpital Charles-Le Moyne et l’une des médecins qui ont soigné Shawn.

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La Dre Annie Lavigne, interniste intensiviste à l’hôpital Charles-Le Moyne

Au Québec, si le défunt n’a pas pu communiquer ses intentions – c’est le cas pour Shawn, arrivé inconscient à l’hôpital –, c’est la famille qui décide.

En théorie, entre 80 % et 98 % des Québécois sont favorables au don d’organes, selon les sondages.

En pratique, quand c’est votre enfant de 14 ans, la théorie prend le bord et plein de questions vous passent par la tête. « Tout est douloureux, on ne comprend pas ce qui se passe », dit Marie-Hélène.

Simon Faucher et Marie-Hélène Bouchard n’ont évidemment pas discuté de don d’organes avec leur fils de 14 ans, qui avait toute sa vie devant lui.

« Au pire moment de leur vie, on en demande beaucoup [aux membres de] la famille des donneurs. C’est très paradoxal. C’est pour ça qu’il faut prendre notre temps, y aller par étapes », dit Danielle Grondines, infirmière de liaison en don d’organes pour Transplant Québec, l’organisme qui gère les dons d’organes des défunts.

Le personnel de l’hôpital aborde le don d’organes progressivement, à cinq ou six reprises. Avant de prendre une décision finale, le médecin fait un dernier examen. Shawn ne se réveillera pas. C’est le moment de prendre une décision.

« On connaît Shawn et son grand cœur, dit Marie-Hélène Bouchard. On a décidé qu’on acceptait. »

Shawn allait mourir, son histoire s’arrête là, mais il a encore une mission à faire. Une grande mission : celle de sauver d’autres personnes.

Marie-Hélène Bouchard

L’hôpital organise la cérémonie d’adieux avec la famille et les proches. Son petit frère Thomas voit Shawn pour la dernière fois.

Puis vers 21 h, l’ambulance qui amènera Shawn à l’hôpital Sainte-Justine, où aura lieu le don d’organes, arrive.

Shawn est conduit à son dernier repos.

Jade

Deux mois après la mort de Shawn, la famille Faucher reçoit des nouvelles de Transplant Québec.

C’est la famille de Jade1 qui écrit pour lui dire merci.

Jade, qui a reçu le cœur de Shawn.

Les deux ados avaient à peu près le même âge. Ils aimaient tous les deux la musique. À l’hiver 2019, pendant que Shawn va voir Loud au Centre Bell, Jade manque un concert de Billie Eilish parce qu’elle est hospitalisée à Sainte-Justine. Elle ne peut pas sortir de l’hôpital sans un cœur neuf.

Le programme de correspondance de Transplant Québec est anonyme et confidentiel. Mais les mamans de Shawn et Jade commencent à se laisser des indices discrets dans les lettres acheminées par Transplant Québec. Avec l’aide des réseaux sociaux, elles se retrouvent et se rencontrent. Puis Marie-Hélène Bouchard rencontre Jade, qui porte le cœur de son fils. Aujourd’hui âgée de 18 ans, Jade commencera l’université cet automne.

Marie-Hélène Bouchard pense à son fils Shawn plusieurs fois par jour. « C’est injuste. On ne fait pas son deuil, on va porter ça toute notre vie, dit-elle. On était vraiment brisés, mais on s’est reconstruits. Ça adoucit le deuil de savoir que Jade voyage avec le cœur de Shawn. »

En plus de son cœur, Shawn a donné ses poumons et ses reins à d’autres receveurs.

Shawn a sauvé cinq vies. On est très fiers de notre héros.

Marie-Hélène Bouchard

Cette année, pour la première fois, Marie-Hélène Bouchard accepte de raconter publiquement cette histoire dans le cadre de la Semaine nationale de sensibilisation au don d’organes et de tissus. Pour aider les familles qui devront faire face à la même situation terrible et injuste.

Chaque année, entre 150 et 200 Québécois qui rendent l’âme donnent leurs organes. Ce sont des héros, qui permettent de sauver des vies.

Leurs proches, qui doivent souvent prendre la décision de donner les organes, font aussi preuve d’une grande résilience. Poser un geste aussi altruiste que douloureux, c’est profondément courageux.

« Ce sont des décisions tellement difficiles, dit Marie-Hélène Bouchard. C’est une décision qu’on prend avec le cœur. Si jamais mon fils Thomas, ma famille, mes amis ou mes proches avaient un grave problème de santé et qu’ils avaient besoin d’une greffe, j’espère qu’on ferait tout pour leur sauver la vie. »

1. Pour des raisons de confidentialité médicale, nous avons changé le prénom de la jeune fille qui a reçu le cœur de Shawn.

Planifier son don d’organes

Vous voulez donner vos organes à votre mort ? Il y a trois façons de signifier vos intentions. La plus simple : signer l’autorisation à l’endos de votre carte d’assurance maladie. Vous pouvez aussi vous inscrire au registre de l’assurance maladie du Québec ou consulter un notaire. À l’hôpital, en pratique, la décision finale revient à la famille du défunt. D’où l’importance d’en parler à ses proches et de signer sa carte d’assurance maladie. « Si on ne peut pas sauver la personne, on peut au moins respecter ses dernières volontés », dit la Dre Annie Lavigne, médecin interniste intensiviste à l’hôpital Charles-Le Moyne. Quand la famille constate que la personne a signé sa carte d’assurance maladie, c’est très souvent un soulagement : elle n’a pas à se demander ce qu’aurait voulu le défunt, qui a clairement exprimé sa volonté. Dans toute sa carrière, la Dre Lavigne n’a jamais vu de cas où une famille n’a pas respecté la volonté d’un défunt de faire don de ses organes.

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  • 569
    En 2023, 569 personnes ont bénéficié d’un don d’organes d’une personne morte au Québec. On a transplanté 47 cœurs, 324 reins, 184 poumons, 125 foies et 16 pancréas.
    Source : Transplant Québec
    206
    Nombre de Québécois décédés qui ont donné des organes en 2023
    Source : Transplant Québec