Mon ami Karl Moore est professeur à la faculté de gestion Desautels de l’Université McGill. Il est aussi l’auteur du livre Introverts and Extroverts in the C-Suite : We are all introverts now. C’est une fascinante recherche basée sur plus de 750 entretiens avec des PDG et des cadres supérieurs en Amérique du Nord, en Europe, en Asie et en Afrique.

Parmi ses nombreux constats, le professeur Moore conclut que pour obtenir de meilleurs résultats financiers, les entreprises doivent avoir une dose égale d’introvertis et d’extravertis parmi leurs dirigeants. C’est d’ailleurs en rencontrant Karl Moore que j’ai appris que j’étais une ambivertie​. L’ambiversion se situe entre l’introversion et l’extraversion.

Le récent palmarès du magazine L’actualité des personnes les plus influentes du Québec est peut-être imparfait aux yeux de plusieurs, mais l’exercice demeure important pour prendre un certain pouls de la province. Aussi, les nombreuses réactions au palmarès, notamment celles soulignant son manque de diversité – sous toutes ses formes – est un signe de progrès qui me plaît.

Au-delà du palmarès, j’étais plutôt intéressée par la méthodologie utilisée pour choisir les 100 personnes retenues. L’actualité a expliqué avoir notamment considéré le charisme et la personnalité des nommés.

Le magazine américain Time dresse, depuis 25 ans, une liste annuelle des personnes les plus influentes au monde. Sa plus récente édition vient d’être publiée. Ceux qui s’y retrouvent, explique le magazine, sont des personnes dont les actions et les parcours ont le plus fait changer ce qui a défini l’année. Le président de la Banque mondiale, la femme d’Alexeï Navalny, l’acteur Michael J. Fox et ses milliards récoltés pour financer la recherche sur la maladie de Parkinson en font partie. Le Montréalais Yoshua Bengio, spécialiste de l’intelligence artificielle, s’y retrouve, en bonne compagnie. M. Bengio était aussi sur la liste de L’actualité, en 48place.

L’influence et le leadership me paraissent indissociables. Quel est alors le rôle du charisme en leadership ? « Le charisme est surestimé dans le monde d’aujourd’hui. Les meilleurs leaders sont ceux qui ont une solide base de connaissances, de perspicacité et de sagesse durement acquises ainsi que la capacité de bien saisir le moment présent, tout en ayant assez de vision pour prévoir celui à venir », me répond le professeur Moore.

Je suis d’accord avec lui.

Le rôle du charisme est souvent surfait, ce qui peut bousiller les attentes que nous devrions avoir envers nos dirigeants. Surtout que la perception du charisme est souvent tout simplement la fabrication d’une bonne campagne de communication.

L’exemple classique demeure celui de la campagne présidentielle américaine de 2000, qui opposait George W. Bush à Al Gore. La brasserie Samuel Adams avait aussi sondé la population. « Avec qui préféreriez-vous prendre une bière ? George W. Bush ou Al Gore ? » Bush avait remporté ce scrutin ludique, tout comme l’élection. Son équipe avait alors sauté sur l’occasion pour faire mousser la personnalité du futur président face à un opposant dépeint comme quelqu’un qui manquait de flamboyance. Une différence souvent illustrée dans diverses manchettes. Un jour, ABC News avait ainsi comme titre « Bush fournit les éclats et Gore, l’ennui ». Le surnom « Gore the Bore » (Gore l’ennuyeux) a aussi été repris plusieurs fois par d’autres médias. Même des années plus tard, c’est une étiquette dont l’ancien vice-président a eu du mal à se défaire.

PHOTO CALLA KESSLER, ARCHIVES THE NEW YORK TIMES

L’ancien candidat à la présidence Al Gore, en septembre 2023

Aujourd’hui, est-ce que Jimmy Carter, un homme de paix jugé trop humble et insipide par certains, aurait survécu aux primaires démocrates ? Est-ce qu’Al Gore serait sur le bulletin de vote ? Je n’ai pas la réponse, mais je suis certaine que Ross Perot, candidat indépendant en 1992, serait, a contrario, très populaire. Et pourtant…

Ce qui est reproché au président Joe Biden, en plus de son âge, c’est son manque de charisme. Il ne jogge pas de son bureau aux escaliers de l’hélicoptère qui l’attend sur la pelouse de la Maison-Blanche. Son débit est lent. Il met du temps et réfléchit avant de répondre et ne fait pas dans le tac au tac. Avec tout cela, on préférait probablement prendre une bière avec quelqu’un d’autre. Mais diriger un pays n’a rien d’un apéro, et un choix aux élections ne devrait en rien ressembler au processus d’une application de rencontres. Une personne peut bien lantiponner avec fracas, cela ne rend pas ses propos nécessairement éclairants.

Nos attentes doivent changer. Le leader idéal n’a pas à être, en plus, notre meilleur ami ou le clou de la soirée.

Le président Biden est évidemment critiquable, mais je préfère le calme et l’ennui de « Sleepy Joe » à l’imprévisibilité d’un autre.

Les récentes mises à pied chez Tesla, les résultats financiers peu enviables de l’ancien Twitter (je ne l’appellerai jamais X) et les déboires de la plateforme depuis qu’il en a pris possession font oublier le « charisme » d’Elon Musk. En revanche, le très souvent monotone Bill Gates continue son œuvre cruciale à l’échelle planétaire – notamment en santé – près de 20 ans après avoir quitté la direction de Microsoft.

Peut-on dire des 100 personnes sur la liste du Time qu’elles sont toutes charismatiques ? Pour en avoir entendu trois lors de conférences, la réponse est non. Mais ont-elles contribué à influencer notre monde et à le rendre meilleur grâce à leur leadership ? Absolument. Et c’est ce qui compte.

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