Les brasiers dévastateurs se succèdent à une vitesse inquiétante, ici comme ailleurs. Dans l’actualité, un incendie chasse l’autre, littéralement.

Celui qui a ravagé l’île de Maui, à Hawaii, figure en tête de liste des incendies qui ont marqué les esprits. Et le New Yorker vient tout juste de publier un examen instructif au sujet de ce qui s’est passé sur cette île naguère paradisiaque.

La journaliste Elizabeth Kolbert (qui est notamment l’auteure du remarquable livre La sixième extinction) y rappelle que le gouverneur de l’État a qualifié le brasier de « plus importante catastrophe naturelle qu’Hawaii ait jamais connue ».

Elle s’empresse ensuite de le corriger.

Il serait plus juste, selon elle, de décrire les incendies comme une catastrophe qui n’a rien de naturel (unnatural).

Parce que Lahaina, ville où plus de 850 personnes manquent toujours à l’appel, était naguère entourée de plantations de canne à sucre. Laissées à l’abandon à la fin du siècle dernier, elles ont été infestées par des herbes envahissantes « qui deviennent hautement inflammables en période de sécheresse ».

Mais aussi parce que les changements climatiques, liés aux activités humaines, ont contribué à changer la donne. Les températures moyennes à Hawaii ont grimpé de deux degrés depuis les années 1950, rapporte Elizabeth Kolbert. « Cela a rendu l’État plus propice aux incendies et, en même temps, a favorisé la propagation des types de plantes qui alimentent les incendies de forêt. »

Peut-être faudrait-il en effet, désormais, proscrire l’expression « catastrophe naturelle » pour parler des incendies de forêt et autres évènements extrêmes.

Mise en garde utile : on ne peut pas comparer les incendies de Maui à ceux qui frappent le Québec ou l’ouest du Canada et penser que les situations sont similaires en tous points.

Au Québec, par exemple, les incendies dans la forêt boréale ne sont pas une anomalie. Ce qui est possiblement en train de changer, c’est leur ampleur (pour le Canada au grand complet, on parle cette année d’environ 14 millions d’hectares de forêt brûlés, du jamais vu). Et peut-être aussi leur fréquence, l’avenir nous le dira.

« Je ne serais pas prêt à dire qu’on est dans une situation apocalyptique, mais si on a dix ans avec une superficie brûlée comme en 2023, il va falloir penser qu’on est sorti de la variabilité naturelle », nous a dit Yves Bergeron, chercheur à l’Institut de recherche sur les forêts de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.

Ce qui semble clair, en revanche, c’est qu’à l’instar d’Hawaii, le Québec et le reste du Canada ressentent de plus en plus l’impact des changements climatiques sur la forêt.

L’augmentation des températures liée aux changements climatiques – dont les causes principales sont liées aux activités humaines – provoque des sécheresses potentiellement plus intenses. Celles-ci, pour leur part, font grimper le risque d’incendie.

Sans compter qu’en raison des températures plus élevées, le nombre d’orages et d’éclairs, qui sont très souvent à la source des incendies de forêt, est aussi en hausse. C’est ce que faisait remarquer récemment dans nos pages l’expert Edward Struzik1.

Si la fréquence des incendies augmente, ceux-ci sont susceptibles de perturber le renouvellement naturel de la forêt. C’est ce que les experts qualifient d’« accident de régénération ».

Ça signifie que les arbres brûlent trop jeunes, avant d’avoir eu le temps de produire les graines qui sont nécessaires pour régénérer la forêt après les incendies.

Le phénomène peut aussi se manifester si le feu détruit une forêt dont les arbres ont été récoltés quelques années ou quelques décennies plus tôt.

Les régions où l’épinette noire est en abondance sont particulièrement vulnérables, car cet arbre a besoin d’au moins une trentaine d’années pour générer les graines viables qui vont lui permettre de se reproduire.

Le directeur de l’Observatoire de recherche régional sur la forêt boréale, Yan Boucher, nous a communiqué ses plus récentes estimations à ce sujet. Ses travaux indiquent qu’au moins 300 000 hectares de forêt au Québec « se dirigent vers des accidents de régénération » dans la foulée des incendies des derniers mois.

Sachant qu’on replante autour de 50 000 hectares annuellement, le Québec a « un gros chantier à prévoir », prévient-il. Et des investissements majeurs à faire pour assurer le succès de ce projet urgent.

Ce ne sera qu’un juste retour des choses. Si les activités humaines perturbent la régénération naturelle de la forêt, la seule réaction responsable, dans les circonstances, c’est de réparer nos dégâts.

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