Dix ans après le célèbre jugement Éric c. Lola, les parents conjoints de fait ont assez attendu : le gouvernement Legault doit faire preuve de courage politique et réformer le droit de la famille pour leur donner une protection minimale.

Le Québec a un régime de droit familial injuste pour les parents conjoints de fait, qui n’ont aucun droit et aucune protection actuellement. Pour une société qui se targue de faire de l’égalité hommes-femmes l’un de ses principes fondamentaux, c’est un peu gênant. Car dans la très, très grande majorité des familles, ce sont les mères qui font des sacrifices économiques pour s’occuper davantage des enfants.

Les enfants ont évidemment droit à une pension alimentaire, que les parents soient mariés ou en union de fait. Environ 60 % des enfants au Québec ont des parents en union de fait.

Pour les couples mariés, en cas de séparation, on divise aussi à parts égales le patrimoine familial (les biens de la famille, comme les résidences et les régimes de retraite), et le conjoint le moins riche peut recevoir une pension pour un certain temps, selon les circonstances.

Les parents conjoints de fait, eux, n’ont aucune pension ni protection. Madame n’a pas droit à une compensation si elle a mis sa carrière en veilleuse pour s’occuper des enfants. Elle peut se faire expulser sans préavis de la résidence familiale appartenant à Monsieur.

Lola avait contesté jusqu’en Cour suprême le régime québécois pour les conjoints de fait, alléguant qu’il était discriminatoire par rapport à celui pour les couples mariés. À cinq juges contre quatre, la Cour a conclu que le régime québécois respecte les Chartes des droits et que c’est au législateur québécois de trancher cette question.

Malheureusement, le législateur n’est pas pressé. Ça fait dix ans que le gouvernement du Québec, sous trois partis différents – Parti québécois (PQ), Parti libéral du Québec (PLQ), Coalition avenir Québec (CAQ) –, « réfléchit » à la question et pellette le problème en avant.

Le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette, a le « souhait » d’adopter une réforme du droit de la famille sur la question des conjoints de fait d’ici la fin du mandat actuel, précise son cabinet. On espère que la CAQ tiendra parole. Maintenant que la réforme sur la filiation a été adoptée au printemps, il n’y a plus d’excuse.

Réformer le droit de la famille n’est pas un long fleuve tranquille. Les débats ont été très émotifs lors des réformes en 1980 puis en 1989. Le couple est un sujet délicat qui touche tout le monde.

N’empêche, ça n’a pas de bon sens qu’un parent ayant fait des sacrifices économiques pour élever ses enfants n’ait droit à rien de la part de l’autre parent après une séparation. Et qu’il doive continuer d’assumer seul les conséquences d’une décision qui a bénéficié aux deux parents et qui s’est souvent prise à deux.

Depuis 2015, Québec dispose d’un rapport étoffé d’un comité d’experts qui propose des solutions. (Bonne nouvelle : le président du comité, Alain Roy, professeur à la faculté de droit de l’Université de Montréal, est aujourd’hui conseiller spécial du ministre Jolin-Barrette pour le droit familial.)

À notre avis, toute réforme devrait respecter les deux grands principes suivants :

1. les conjoints de fait sans enfants peuvent conclure un contrat de vie commune s’ils le désirent, mais on ne doit pas leur imposer d’obligations en cas de séparation (ex. : une pension) comme dans les autres provinces canadiennes ;

2. c’est le fait d’avoir des enfants ensemble qui peut donner lieu à une compensation entre conjoints de fait.

Au minimum, les conjoints de fait ayant subi un désavantage économique en faisant des sacrifices pour s’occuper des enfants doivent être compensés de façon juste et équitable pour ces sacrifices liés à la présence des enfants. C’est essentiellement ce que proposait le comité Roy en 2015. On pourrait y arriver en séparant le patrimoine familial ou en octroyant une pension pendant un certain temps.

Il ne s’agit pas de « marier les gens de force », comme disent les défenseurs du statu quo. Il s’agit de reconnaître que les sacrifices d’un parent (ex. : emploi moins exigeant et moins payant, retrait du marché du travail, abandon des études) ont profité à toute la famille. Incluant l’autre parent plus riche car il a pu se consacrer davantage à sa vie professionnelle.

L’autre option, c’est de faire comme au Canada anglais et de compenser le parent le moins riche des deux, peu importe s’il a subi ou non un désavantage économique en raison des enfants. Cette option plus simple est beaucoup plus interventionniste. C’est pourquoi on préfère à première vue l’approche du rapport Roy.

Une chose est certaine : la pire option, c’est notre régime actuel, injuste pour les parents en union de fait qui font des sacrifices pour leurs enfants.

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  • 82 %
    En 2021, les femmes salariées ont gagné en moyenne 82 % du salaire par semaine des hommes salariés au Québec. Il y a deux raisons : leur salaire horaire est moins élevé et elles travaillent moins d’heures (entre autres pour s’occuper de leurs enfants). Les femmes salariées gagnent en moyenne 91 % du salaire horaire des hommes salariés.
    Source : Institut de la statistique du Québec