Le ministre Pierre Fitzgibbon a raison : ce serait « irresponsable » d’écarter un retour de l’énergie nucléaire sans d’abord étudier la question⁠1.

Décarboner le Québec sera l’un des plus grands défis des prochaines décennies, sinon le plus grand. Pour décarboner le Québec d’ici 2050, il faudra hausser notre production d’énergie d’environ 50 %. Le Québec produit actuellement 216 TWh par année ; il faudra au moins 100 TWh de plus par année, et les rivières au meilleur potentiel hydroélectrique sont déjà exploitées.

Le nouveau président et chef de la direction d’Hydro-Québec, Michael Sabia, a ainsi demandé une étude pour voir s’il était techniquement possible de rouvrir la centrale nucléaire Gentilly-2, fermée (avec raison à l’époque) par le gouvernement Marois en 2012 dans un contexte de surplus d’électricité. Depuis que Le Journal de Montréal a révélé la nouvelle la semaine dernière, il y a débat public sur l’énergie nucléaire.

Hydro-Québec et le gouvernement Legault font bien d’analyser la chose froidement. Dans un contexte où on doit trouver 100 TWh, il est normal qu’Hydro-Québec évalue toutes ses options, incluant sa défunte centrale nucléaire. Le contraire serait irresponsable.

On est toutefois très, très loin de recommencer à consommer de l’énergie nucléaire.

Premièrement, est-ce possible techniquement ? L’étude d’Hydro-Québec le déterminera.

Deuxièmement, veut-on de l’énergie nucléaire sur le plan social ? Strictement sur le plan environnemental, le nucléaire est généralement (encore) moins polluant que l’hydroélectricité, mais il soulève beaucoup d’autres enjeux, notamment sur le plan de la sécurité et de l’enfouissement de déchets d’uranium.

Troisièmement, ça coûterait combien ? Le professeur Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, estime le coût de Gentilly au moins à 15 cents/kWh. C’est plus cher que les prévisions d’Hydro de 11 cents/kWh pour ses prochains approvisionnements. Le dernier complexe hydroélectrique, La Romaine, produit à 6,4 cents/kWh.

Quatrièmement, le nucléaire n’est pas une solution miracle. Avant sa fermeture, Gentilly ne produisait que 5 TWh par année, rappelle notre collègue chroniqueur Paul Journet⁠2.

Ce débat sur l’énergie nucléaire n’est toutefois pas perdu. Il nous permet de discuter collectivement de l’une des plus importantes questions de la prochaine décennie : comment trouverons-nous 100 TWh pour décarboner le Québec ?

Notre collègue éditorialiste en chef Stéphanie Grammond l’a déjà plaidé dans nos pages l’hiver dernier : le Québec est dû pour une grande consultation nationale sur l’énergie⁠3. Le débat des derniers jours sur le nucléaire le confirme.

Jusqu’ici, on ne peut pas dire que le gouvernement Legault ait été atteint de « consultatite aiguë » dans ce dossier.

Québec présentera bientôt un important projet de loi pour réformer l’encadrement et le développement des énergies propres. Pour préparer ce projet de loi, le gouvernement fera… seulement deux jours de consultations publiques (une journée avec des experts en mai, une autre avec les communautés autochtones à l’automne). Ce n’est pas mêlant : le CRTC fait des consultations publiques plus longues (trois jours en 2016) pour renouveler les licences des chaînes de télé francophones !

Le gouvernement du Québec a quelque peu télégraphié ses intentions : il sera ultimement responsable de faire le plan de match énergétique à long terme, en collaboration avec Hydro.

Tôt ou tard, Québec devra faire une grande consultation sur notre avenir énergétique, en vue d’établir son plan de match à long terme.

Durant cette consultation, Québec devra expliquer les coûts économiques, sociaux et environnementaux de chaque type d’énergie. Écouter véritablement la société civile débattre. Prendre des notes et adapter le plan de match.

Une telle consultation aurait aussi un effet pédagogique pour la population, dont les comportements font partie de l’équation. Chaque TWh économisé est un TWh qu’on n’a pas à produire.

Contrairement à ce qu’on entend depuis quelques jours, ce débat sur l’énergie n’est pas binaire.

Ce n’est pas pour ou contre l’efficacité énergétique, pour ou contre le nucléaire, pour ou contre l’éolien ou pour ou contre de nouveaux barrages hydroélectriques.

Il s’agit plutôt de trouver le meilleur plan de match à long terme. Les meilleures solutions économiques, sociales et environnementales pour arriver à 100 TWh.

1. Lisez « Énergie nucléaire : Pierre Fitzgibbon ne ferme pas la porte » 2. Lisez la chronique « Un dossier radioactif » 3. Lisez « Une consultation nationale sur l’énergie s’impose » Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion
En savoir plus
  • 93 %
    Pourcentage de l’électricité d’Hydro-Québec qui provient de l’hydroélectricité. L’éolien représente 5 % de l’électricité d’Hydro-Québec, les autres sources d’énergie (thermique, biogaz, biomasse, solaire, importations) représentent 2 %.
    Source : hydro-québec
  • 1,3 tonne éq. CO2 par GWh
    Taux d’émissions de CO2 de l’électricité produite par Hydro-Québec durant l’année 2022.
    source : hydro-québec