Le sommet sur l’itinérance organisé par l’Union des municipalités le 15 septembre prochain braquera les projecteurs sur une crise sans précédent au Québec, et c’est tant mieux. Le problème mérite toute notre attention.

Si vous vivez à Montréal, vous avez constaté que les personnes en situation d’itinérance sont plus visibles que jamais, et ce, dans des quartiers où on n’en voyait pas auparavant. Si vous vivez ailleurs au Québec, vous savez désormais que l’itinérance s’est répandue dans d’autres villes à travers la province.

Les causes – il y en a plusieurs – on les connaît : pauvreté, crise de l’habitation, problèmes de santé mentale, infrastructures d’accueil insuffisantes pour les nouveaux arrivants, problèmes de consommation de drogues de plus en plus dangereuses… Le cocktail est explosif.

Au cours des prochains jours, les résultats du grand dénombrement effectué en octobre dernier seront (enfin) dévoilés. On sait déjà que les chiffres ne correspondent plus à la réalité. En un an, le nombre d’itinérants a augmenté. Mais ces données, qui nous indiqueront tout de même une tendance, devraient aider nos gouvernements à prendre les décisions qui s’imposent.

Depuis l’adoption de la politique nationale de lutte contre l’itinérance, en 2014, Québec a présenté deux plans. Le plus récent, concocté par le ministre Carmant, date de 2021. Il prévoyait des investissements de 280 millions de dollars et selon les experts qui l’avaient plutôt bien accueilli à l’époque, il posait les bons diagnostics.

Sauf que deux ans plus tard, la situation sur le terrain a beaucoup changé. La pandémie a fait des ravages, la crise des opioïdes aussi.

Le plan de 2021 n’a pas la force de frappe nécessaire pour répondre à la crise de 2023. Si nous voulons une réponse à la hauteur de la tragédie qui se déroule sous nos yeux, il faut faire plus. Beaucoup plus.

Le ministre Carmant doit donner un coup de barre rapidement si nous ne voulons pas voir nos rues ressembler à celles de Vancouver ou de Toronto. Ce n’est pas alarmiste de le dire, c’est simplement réaliste.

Un des problèmes dans l’approche de Québec en matière d’itinérance, c’est la gouvernance. Le plan Carmant se dit « interministériel », mais dans les faits, il n’a d’interministériel que le nom.

Selon plusieurs personnes très au fait du dossier de l’itinérance, et qui cumulent des décennies d’expertise sur le terrain, la communication entre les différents ministères est plus difficile que jamais. Tout le monde travaille en silo.

Or l’itinérance ne relève pas seulement du ministère de la Santé et des Services sociaux, c’est un dossier qui implique 10 ministères. Les organismes communautaires qui accompagnent les personnes en situation d’itinérance déplorent le manque de canaux de communication entre la Santé, l’Habitation, la Justice et le Revenu, pour ne nommer que ceux-là.

L’autre point faible du plan Carmant, c’est l’argent. Il est illusoire de penser qu’avec 280 millions de dollars sur cinq ans (moins de 60 millions par an), on va pouvoir même commencer à endiguer un problème qui, seulement pour la question du logement, exige des investissements massifs.

Et même si les organismes communautaires ont bénéficié de sommes supplémentaires grâce au plan Carmant, c’est une goutte d’eau considérant tout ce qu’on exige d’eux.

Nous l’avons déjà écrit ici, sans le communautaire, nous sommes cuits.

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C’est encore plus vrai quand il est question d’itinérance. Les organismes se retrouvent face à des problèmes de plus en plus complexes qui exigent d’eux des compétences de plus en plus fines. Et on leur demande de réussir ces petits miracles avec des moyens qui ne sont définitivement pas à la hauteur.

Parions qu’un fonctionnaire provincial n’accomplirait pas la moitié de la tâche d’un travailleur communautaire pour le double de son salaire.

Le sommet du 15 septembre est donc une excellente initiative de l’Union des municipalités. Non seulement il permettra d’attirer l’attention sur l’itinérance, il en fera un enjeu national.

Le ministre Carmant doit profiter de ce sommet pour dire deux choses.

La première : rappeler le statut particulier de Montréal qui accueille la majorité des itinérants dont une bonne proportion provient des quatre coins du Québec. La métropole a droit à des moyens à la hauteur de la crise qu’elle doit gérer.

Ensuite, si le ministre veut vraiment faire une différence, il doit annoncer qu’il va bonifier substantiellement son plan de lutte contre l’itinérance. Et il doit convaincre ses collègues des autres ministères d’en faire une priorité aussi.

Autrement, le constat qu’on fera l’an prochain risque d’être encore plus catastrophique.

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