Contrairement à plusieurs, je ne suis pas tombée des nues en visionnant le reportage de Thomas Gerbet qui expose la flambée de surdoses et d’itinérance à Ottawa⁠1.

C’est plutôt au printemps dernier, dans le cadre des championnats nationaux de volleyball U14, que le choc est survenu. La capitale fourmillait de jeunes sportifs pimpants, mais elle grouillait aussi d’ambulanciers affairés à glaner les personnes inconscientes qui jonchaient les rues.

La discordance était totale, l’ahurissement, complet.

Et pourtant, les passants pressés paraissaient accoutumés. Pour reprendre un terme en vogue ; la misère, l’insalubrité et l’incivilité semblaient tristement « normalisées ».

Heureusement, la crise des opiacés ne sévit pas encore aussi durement au Québec. L’espérance de vie résiste toujours à la pression des surdoses qui l’entraîne à la baisse dans le ROC⁠2. Or, à l’instar de l’Europe qui annonçait la tendance durant la pandémie, la situation qui prévaut dans plusieurs villes nord-américaines nous sert d’avertissement. Triste lueur de désespoir.

Nuances d’itinérance… et de bienveillance

L’époque où l’itinérance montréalaise arborait le visage d’un squeegee punk qui rejetait la société à grands coups d’insultes est révolue. Dorénavant, c’est plutôt la société qui fait un pied de nez à une frange croissante de gens. Le maelstrom des crises – drogue, santé mentale et logement – entraîne dans son sillage une diversité de personnes. La misère ordinaire se répand et déborde largement des confins de la métropole. Au pied levé, toutes les municipalités y sont confrontées. L’Union des municipalités du Québec (UMQ) a d’ailleurs fait de la lutte contre l’itinérance son cheval de bataille. Espérons que des solutions novatrices ressortiront du sommet prévu le 15 septembre.

D’ici là, le mot d’ordre s’avère limpide : bienveillance. Évidemment, la sollicitude consiste d’abord à assurer la sécurité et combler les besoins urgents des personnes en situation d’itinérance.

Refuges inclusifs, nourriture, aiguilles propres et sites d’injection et d’inhalation supervisés constituent des incontournables.

Les investissements annoncés en ce sens doivent être salués. Cela dit, la bienveillance ne peut pas s’arrêter à l’immédiat et l’individuel, elle doit englober le long terme et le collectif. Et parfois, elle doit s’incarner avec une fermeté affectueuse.

Comme toutes les personnes dont un proche vit avec la toxicomanie ou des problèmes de santé mentale le savent, ces fléaux torturent l’être cher au premier chef, mais ils font également des victimes collatérales. Aujourd’hui, une garderie ferme ses portes à Ottawa, mais ailleurs, ce sont des pans de villes entiers qui se voient condamnés à l’insécurité. N’abdiquons pas. La réhabilitation demeure possible même si elle semble parfois inatteignable. Pour ce faire, investissons dans la désintox et la santé mentale autant sinon plus que dans les refuges, la naloxone et les sites supervisés. Bref, offrons des poissons à nos concitoyens infortunés ET apprenons-leur à pêcher.

Par-delà l’offre et la demande

Dans une société où les désirs sont hypertrophiés et la pyramide de Maslow est presque oubliée, il y a de quoi s’indigner qu’un besoin aussi fondamental que celui de se loger ne soit pas comblé.

Face à la crise du logement, plusieurs rappellent candidement que « c’est mathématique ». Les promoteurs crient sur tous les toits que l’offre est famélique. Ils déplorent que les mises en chantier décélèrent au lieu d’accélérer. Quant aux partisans d’une immigration qui respecte notre capacité d’accueil, ils soulignent l’impact délétère d’une trop forte demande.

Bien qu’ils n’aient pas tort, tous deux négligent le nœud du problème : le manque cruel de logements abordables. Devant l’urgence, tous les ordres de gouvernement devraient collaborer afin de créer une voie rapide pour la construction de logements étatiques.

Comme Jane Jacobs l’a évoqué : « Nous attendons trop des nouveaux bâtiments et trop peu de nous-mêmes. » Relevons-nous les manches.

1. Regardez le reportage de Thomas Gerbet 2. Lisez « L’espérance de vie fait un bond au Québec » 3. Lisez « Toxicomanie : un premier centre d’inhalation supervisée à Montréal » 4. Consultez le site de l’UMQ pour le grand sommet municipal le 15 septembre Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion