Il y a 100 ans presque jour pour jour, la décision d’installer l’Université de Montréal sur le flanc ouest du mont Royal prenait forme.

Dans un ouvrage qui paraîtra bientôt, sous la plume de Micheline Cambron et Daniel Poitras1, on apprend avec étonnement que d’autres sites étaient envisagés à l’époque : le parc Maisonneuve, le parc Jeanne-Mance, et même l’île Sainte-Hélène. Dans cette dernière hypothèse, il s’agissait de protéger les futurs étudiants et étudiantes des distractions et des plaisirs condamnables du centre-ville. C’était avant que le parc Jean-Drapeau n’accueille îleSoniq et le Piknic Électronik…

D’aucuns auraient pu croire qu’en installant son campus près du sommet de la montagne, avec sa tour emblématique qui surplombe la métropole, l’Université de Montréal allait pareillement s’isoler de la vie urbaine, dans une sorte de repli élitiste ou frileux.

C’est plutôt l’inverse qui est arrivé. L’ouvrage de Cambron et Poitras met en lumière l’inscription profonde de l’Université de Montréal dans le tissu social, politique, économique et communautaire du Québec, depuis sa création il y aura bientôt 150 ans.

L’Université de Montréal est née de la crainte d’un exode des francophones (les Canadiens français, comme on le disait à l’époque) vers McGill, seule université montréalaise au milieu du XIXe siècle.

Au prix d’une lutte acharnée s’étirant sur quelques décennies, elle a acquis son autonomie par rapport à l’Université Laval, dont le carcan religieux pesait lourd. Avec l’apport de l’École Polytechnique et de HEC, l’Université de Montréal est devenue la plus grande université de langue française en Amérique, l’un des plus importants pôles de recherche au Canada et dans le monde, mais aussi le lieu d’épanouissement d’étudiants et d’étudiantes de tous les milieux et de tous les horizons qui ont fait le Québec moderne, en français.

J’ai eu le plaisir de lire ce portrait historique de l’Université de Montréal au cours de l’été. De voir les images jaunies du Quartier latin qui s’étirait alors entre le Vieux-Montréal et la rue Sainte-Catherine. D’en apprendre plus sur ces vagues successives d’étudiants studieux, curieux, fêtards, tapageurs et souvent militants.

De découvrir avec émerveillement la passion du corps professoral, qui a démocratisé l’enseignement supérieur bien avant la Révolution tranquille et porté la recherche scientifique en français sur la scène mondiale dès le début du XXe siècle.

De prendre la pleine mesure du rôle qu’ont joué les universitaires dans toutes les sphères de notre vie collective : la santé, la politique, la justice, la culture, les sports, les sciences fondamentales, l’intervention sociale ou la compréhension de notre humanité.

On ne peut échapper au constat que les universités québécoises ont porté le Québec sur leurs épaules, chacune à sa manière.

La mienne, l’Université de Montréal, l’a fait en offrant l’accès à un enseignement supérieur de classe mondiale, en français, à toutes les communautés, dans toutes les disciplines, depuis un siècle et demi. Il y a de quoi être fier.

Et la fierté s’installe durablement. Par un hasard du calendrier universitaire, j’ai vécu au cours des deux dernières semaines à la fois les cérémonies de collation des grades, qui marquent la fin des études, et la rentrée des classes pour les nouvelles cohortes. Treize mille étudiants et étudiantes qui nous quittent, la tête pleine de projets. Treize mille autres qui arrivent, la tête pleine d’espoirs.

Bref, d’abord le grand livre d’histoire, ensuite les vrais visages de ceux et celles qui seront bientôt dans vos vies. Un médecin sur trois au Québec est formé chez nous. Vous consultez une infirmière spécialisée, en première ligne – elle vient probablement de l’UdeM. Vous avez un chien ou une vache qui a besoin d’un vétérinaire – vous verrez un diplômé de l’UdeM. Vous avez besoin de lunettes – c’est une de nos diplômées qui vous aidera.

Vous passez à la pharmacie, chez le dentiste, ou dans le cabinet d’une avocate en immigration? Regardez sur le mur, car il y a de fortes chances que vous y verrez un diplôme de l’Université de Montréal.

Vous achetez un roman, un essai politique, vous regardez un documentaire, ou entendez une pianiste québécoise de grand talent? Googlez l’artiste, la journaliste ou l’autrice : il y a de bonnes chances pour qu’elle soit passée par l’UdeM.

Alors, vous pouvez imaginer ce que tout cela – la longue histoire de l’UdeM, la collation des grades, la rentrée des classes – signifie pour moi et mes collègues. La vie universitaire est ainsi faite. Elle tourne en boucle, dans un cycle récurrent qui porte à l’introspection. Chaque année, nous voyons les nouveaux visages de toutes ces personnes qui se joignent à la grande famille de l’UdeM, et ça donne un sens à nos vies.

Ces visages sont porteurs de diversité, mais ils sont tous pareils, au fond. La formidable énergie de ces personnes, c’est la même que celle d’hier. Celle qui a construit le Québec, servi sa population, et fait voyager son génie par delà les frontières.

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