À partir d’aujourd’hui et pour les prochaines semaines, les professionnelles en soins vont entreprendre des moyens de pression afin d’obtenir toutes les avancées qu’elles méritent à la table de négociation. Bien que ces moyens de pression puissent faire peur, ils seront exercés avec discernement par les infirmières, infirmières auxiliaires, inhalothérapeutes et perfusionnistes cliniques du Québec puisque ce sont des femmes posées qui ont la santé des patients à cœur.

Si les professionnelles membres de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ) adorent leur travail, elles détestent les conditions dans lesquelles elles le font. Quand on déteste ses conditions, on part, et vite. Ce qu’on vit en santé, ce n’est pas tellement une pénurie de main-d’œuvre, c’est un exode massif, un sauve-qui-peut généralisé. Ces femmes détestent les sacrifices déraisonnables que l’État exige d’elles de façon répétée, pour ne pas dire constante.

Quand tu manques le cinquième anniversaire de ton fils à cause de ton travail, ça démoralise. Quand ton conjoint ou ta conjointe doit constamment faire des pirouettes pour aller chercher les enfants à la garderie ou à l’école parce que tu es obligée de rester au travail, encore une fois, ça crée des tensions durables. Quand tu manques le mariage de ta fille, même en ayant demandé ton congé six mois d’avance, annulé à la dernière minute par une gestionnaire qui n’avait pas demandé une remplaçante, ça donne envie de remettre sa démission.

Les revendications des professionnelles en soins ne sont pas exorbitantes. Elles sont profondément humaines : nous voulons qu’on arrête d’épuiser et de pousser nos membres jusqu’à leur extrême limite, jusqu’à la démission ou au burnout.

Ces demandes plus que légitimes prennent la forme d’augmentations de salaire, d’une meilleure conciliation travail-famille, mais surtout d’une charge de travail plus raisonnable.

Saviez-vous qu’il n’y a jamais eu autant, notamment, d’infirmières diplômées au Québec ? Alors, pourquoi en manque-t-il tant dans le réseau public ? Parce qu’elles ont quitté la profession, parce qu’elles sont en arrêt de travail, parce qu’elles ont fui vers le privé ou qu’elles se sont précipitées vers la retraite.

Pour trouver de réelles solutions, il faut prendre le problème dans l’autre sens, en se plaçant sur le plancher de l’hôpital, du CLSC ou du CHSLD, plutôt que dans les hauteurs des cabinets ministériels. Attribuons-leur un nombre raisonnable de patients. Les travailleuses retrouveront du plaisir au quotidien et l’exode cessera. Certaines professionnelles vont même revenir, on pourra alors donner plus de soins et de meilleurs soins, plutôt que de courir dans un corridor, la peur au ventre de commettre une erreur grave.

Ça vous semble trop beau pour être vrai ? Pourtant, l’Australie et la Californie ont légiféré sur les ratios soignante-patients et connaissent énormément de succès : moins de mortalité, délais de séjour plus courts, moins de retours, sans compter des économies de centaines de millions de dollars.

Tout ça, c’est faisable ! Il faut simplement cesser de traiter les professionnelles en soins comme des pions interchangeables qui n’ont pas de vie personnelle et les considérer comme des partenaires qui détiennent une part essentielle des solutions.

À cela, il faudra combiner une stratégie de recrutement et de rétention. On peut espérer des changements bénéfiques significatifs en quatre ou cinq années, à peine.

Au cours des 40 dernières années, il y a eu d’innombrables réformes. Avez-vous l’impression que les soins se sont améliorés ? Moi non plus. Si une réforme émanant d’un bureau politique était la solution, je pense qu’on le saurait.

Pour faire une comparaison, on peut dire que le réseau de la santé est comme un navire qui prend l’eau. Annoncer une nouvelle réforme, c’est se préparer à débattre de la couleur et de la forme de la chaudière avec laquelle on va écoper l’eau. Plutôt que de se concentrer sur les trous dans le fond du bateau, on veut choisir qui s’assoit où, on veut que les marins déjà à bout de souffle rament plus vite. On dirait qu’on ne voit pas que les marins sont en train de sauter par-dessus bord, en colère contre le capitaine qui ne les écoute pas, parce qu’il ne règle pas les problèmes graves qui les affligent chaque jour.

Pour le moment, on ramène à très fort prix et à des conditions d’agences privées une fraction de ces professionnelles en soins qui ont quitté le bateau. Ces conditions sont clairement beaucoup moins durables pour le contribuable. Tout cela parce qu’on n’a pas su considérer et valoriser les soignantes alors qu’elles avaient le cœur sur la main. Cette trajectoire semble nous mener droit vers un naufrage.

C’est pourquoi les infirmières, les infirmières auxiliaires, les inhalothérapeutes et les perfusionnistes cliniques vont être très exigeantes cet automne, pour éviter que la situation ne s’aggrave davantage, pour elles comme pour vous.

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