Mutisme : 1. Refus, incapacité physique ou psychologique de parler. 2. Comportement silencieux de quelqu’un, des médias, des politiciens ou de la Santé publique sur un sujet. (Adaptation libre)

Depuis le début de la pandémie, je m’implique de plusieurs façons dans la lutte contre le virus. En 2020, 2021 et de janvier à mars 2022, j’ai effectué des tours de garde dans la zone chaude de l’hôpital Notre-Dame. J’ai également tenu un blogue intitulé Dans une zone COVID près de chez vous, dans lequel je cherchais à donner des visages aux patients et au personnel travaillant derrière les portes closes en utilisant le pouvoir de l’écriture⁠1, 2, 3.

Dès janvier 2022, les visages de la COVID-19 sont devenus ceux de mes enfants qui ont attrapé la maladie respectivement quatre et six fois depuis l’arrivée des variants Omicron. Ces infections étaient le plus souvent liées au milieu scolaire. J’ai cessé d’écrire. D’abord, j’ai dû me soigner, puisque j’ai contracté le virus à trois reprises (ironiquement, je n’ai jamais attrapé la COVID-19 au travail).

Ensuite, j’ai dû m’occuper d’adolescents malades. À sa deuxième infection, ma fille est restée couchée un mois. À sa troisième infection, mon garçon perdait ses beaux cheveux frisés par poignées et j’ai envisagé de l’emmener aux urgences tant il était mal en point.

À partir de l’automne, mes ados n’ont pas cessé d’être malades. Ils attrapaient tout ce qui passait – gastro-entérites, rhumes, sinusites – tout, tout, tout. Puis ce fut à nouveau la COVID-19, troisième et quatrième épisodes pour elle, quatrième, cinquième et sixième épisodes pour lui.

Leur parcours scolaire a été ponctué de nombreuses absences. Les infections à répétition ont affecté leur santé et entraîné de la démotivation et des retards dans leurs apprentissages.

La COVID-19 se transmet par l’air, et plusieurs écoles sont mal ventilées

Je m’implique aussi au sein du collectif COVID-STOP, groupe de médecins et de scientifiques dirigé par la physicienne Nancy Delagrave, dont je suis la coordonnatrice médicale. Ce collectif s’est beaucoup intéressé à l’importance de la qualité de l’air et aux solutions pour freiner la transmission du virus dans les écoles.

À l’automne 2020, nous avons proposé à des enseignantes de mesurer en secret le taux de CO2 dans leur classe à différents moments de la journée afin de vérifier si la ventilation était adéquate. Les résultats étant fort préoccupants, nous avons organisé une sortie médiatique autour de cette initiative4.

Nous avions trois demandes spécifiques : 1) un message clair de la Santé publique statuant que la COVID-19 se transmet par aérosols ; 2) l’installation de lecteurs de CO2 dans toutes les classes du Québec, et 3) des purificateurs d’air dans les classes où la ventilation s’avérait déficiente. C’était il y a trois ans.

Les lecteurs de CO2 ont été installés. Puis ça s’est arrêté là, ou presque.

Ainsi, mes ados constamment malades peuvent me dire que le taux de CO2 dans leurs classes est souvent au-dessus de 1000 ppm…

La Santé publique n’a jamais clarifié son message. Nos concitoyens continuent de se frotter les mains avec du désinfectant, et les pharmaciens reçoivent sans masque des clients qui toussent en se faisant accroire qu’ils sont protégés par un panneau de plexiglas. Il s’agit d’un échec de communication qui a de lourdes conséquences.

En outre, bien que l’ensemble des études disponibles démontre que les purificateurs d’air mobiles aident à réduire les concentrations d’aérosols et la transmission virale dans les milieux intérieurs⁠5, les cubes Corsi-Rosenthal et autres purificateurs d’air à filtre HEPA ne sont toujours pas recommandés dans nos écoles et les enseignantes qui voudraient en faire l’usage se font interdire d’en installer.

Les réinfections sont mauvaises pour la santé

Pour justifier leur inaction, les autorités nous répètent inlassablement que les variants Omicron donnent un tableau clinique plus léger et que l’immunité hybride protège la plupart des gens des conséquences graves de l’infection aiguë.

Certes, sur le terrain, la situation a changé. On ne retrouve pratiquement plus de patients en insuffisance respiratoire sévère couchés à plat ventre aux soins intensifs.

Cependant, mon expérience comme mère et médecin m’amène à craindre ce que plusieurs articles scientifiques commencent à démontrer : devant ce virus qui mute avec une rapidité déconcertante, l’enjeu porte maintenant sur le nombre de réinfections et sur leurs séquelles cumulatives.

Selon une importante étude américaine, rattraper la COVID-19 pour une deuxième ou une troisième fois double le risque de séquelles à six mois chez les adultes6.

En ce qui concerne les adolescents, une étude publiée ce mois-ci dans The Journal of Pediatrics rapporte qu’après une première infection Omicron, 12 % des jeunes présentaient au moins un symptôme persistant – soit la « COVID longue » – lors de l’évaluation à trois et six mois (fatigue, étourdissements, céphalées, brouillard mental, intolérance à l’effort, essoufflement, diarrhée, etc.). Ce taux grimpait à 16 % lorsqu’il s’agissait d’une deuxième infection7.

La rentrée scolaire 2023-2024 m’inquiète vivement. Mes enfants ont été suffisamment éprouvés et je n’ai aucune envie de rejouer dans le même scénario. C’est pourquoi je sors de mon mutisme pour pousser un rugissement de mère lionne : il est urgent que nos dirigeants prennent les moyens pour protéger nos jeunes et s’occupent d’assainir l’air dans nos écoles.

1. Lisez « Sortie de zone » 2. Lisez « Le patient des soins intensifs » 3. Lisez la chronique de Patrick Lagacé « Mme Harton ne voyait que leurs yeux » 4. Lisez l’article « Ventilation dans les écoles : des tests secrets révèlent des problèmes importants » 5. Consultez la mise à jour du Réseau québécois COVID-Pandémie 6. Consultez le site de Nature Medecine (en anglais) 7. Lisez l’article dans The Journal of Pediatrics Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion