Alors que nos élus étudient le projet de loi qui va créer la nouvelle agence Santé Québec, voilà que le ministre Christian Dubé ajoute un autre article à son projet de loi, qui en contient déjà de plus de 1000. Il veut maintenant permettre au Vérificateur général du Québec (VGQ) de débarquer dans les livres des entreprises privées en santé.

C’est du jamais-vu, d’autant plus que c’est un précédent inquiétant qui pourrait s’étendre à d’autres secteurs d’activités. Cette charge à l’égard des entreprises québécoises ne peut faire l’économie d’une analyse d’impact rigoureuse. Comme cette disposition porte le numéro 1069, elle risque même de ne jamais être étudiée en commission parlementaire, si le projet de loi devait être adopté sous bâillon avant que les 1068 articles précédents ne soient adoptés !

Est-ce que le gouvernement en connaît plus que le privé en matière de performance ?

Le ministre, lui-même issu du secteur privé, sait très bien que les entreprises privées sont dirigées par des gestionnaires et des administrateurs qui veillent à la performance de ces organisations. Il est important de rappeler pourquoi les gouvernements successifs ont tous fait appel à l’apport du privé afin de livrer des services publics : pour améliorer l’accès du public à ces services, de manière flexible et performante.

Alourdir, encore une fois, le fardeau administratif des entreprises

Les contrats publics comportent déjà une série, souvent interminable, de redditions de comptes très détaillées. Si certaines mesures relèvent de la saine gouvernance, d’autres relèvent déjà de l’exagération.

Prenons les entreprises ambulancières, dont le contrat prévoit déjà des pouvoirs d’audit aux CISSS et CIUSSS, des pouvoirs d’audit du MSSS, des indicateurs de performance, le dépôt des états financiers au ministre et une reddition de comptes qui exige des pages et des pages de données granulaires de toute nature. Comme toutes les entreprises faisant affaire avec l’État, elles sont aussi soumises aux vérifications de l’Autorité des marchés publics (AMP). Qu’est-ce que le VGQ va ajouter à cela, sinon davantage de paperasse à remplir ?

Si la proposition du ministre visait simplement à ce que le VGQ vérifie si les CISSS et CIUSSS posent les bonnes questions et demandent les bons documents, on le comprendrait. Mais dans ce cas-ci, la proposition est d’ajouter un étage de paperasse de plus à ce qui existe déjà.

C’est d’autant plus vrai pour les PME québécoises qui n’ont pas autant de ressources humaines à consacrer à répondre aux mille et une questions des experts du VGQ : l’impact d’une telle mesure alourdira de manière disproportionnée leur fardeau bureaucratique, alors que l’une des clés de leur succès est justement leur agilité et leur rapidité d’action.

Contrairement au réseau public, les entreprises privées sont en concurrence les unes avec les autres. Elles se doivent donc aussi de protéger leurs informations stratégiques du regard de leurs concurrents. Or, une telle mesure comporte un risque réel que des données internes sensibles, actuellement protégées par le secret commercial, puissent être divulguées par le VGQ par l’entremise d’un de ses rapports.

Incohérence avec les politiques du même gouvernement

Ce qui frappe dans cet ajout, c’est l’incohérence avec la Politique gouvernementale sur l’allègement réglementaire et administratif qui a été renforcée récemment par le ministre Pierre Fitzgibbon. Selon cette dernière, chaque nouvelle mesure doit répondre à huit principes directeurs, dont être une réponse à un besoin clairement identifié, être élaborée en consultant les parties prenantes, être fondée sur une évaluation des risques, des coûts et des avantages, être conçue pour réduire au minimum les répercussions sur une économie de marché équitable, concurrentielle et innovatrice, en plus de réduire au minimum les duplications inutiles.

L’élargissement des pouvoirs du VGQ n’a pas passé l’analyse exigée par cette politique et mérite en soi un réel débat public et une consultation élargie.

Le privé en santé est performant et efficient, il est tourné d’abord et avant tout vers la satisfaction des patients. Bien sûr, il secoue les dogmes et bouscule la fonction publique, au bénéfice des Québécois, qui s’attendent de nous voir travailler en collaboration et non en confrontation.

Cosignataires : Luc Lepage, président-directeur général, Conseil des entreprises privées en santé et mieux-être (CEPSEM) ; François Vincent, vice-président, Québec, Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI)

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