Le chantier est titanesque. Ses coûts se compteront en centaines de millions de dollars. Il exigera un labeur éreintant que peu de travailleurs voudront accomplir, particulièrement dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre.

Ce défi, le Québec est pourtant forcé l’affronter. Lequel ? Reboiser la forêt boréale ravagée par les incendies de cet été, les pires depuis un siècle dans la province.

La nature se relève habituellement elle-même d’un incendie de forêt. Mais il arrive qu’un brasier frappe une forêt trop jeune pour s’en remettre. Les arbres brûlés, en particulier les épinettes noires, n’ont pas eu le temps d’arriver à maturité et de produire les graines nécessaires pour régénérer la forêt.

Sans intervention, ces zones ne seront plus jamais des forêts. Elles deviendront des landes parsemées d’arbustes et de lichen – des trous béants et permanents dans notre forêt boréale.

Laisser ces brèches s’installer a des conséquences considérables. La biodiversité y est bouleversée. La possibilité pour l’industrie forestière de récolter des arbres est perdue à jamais. Et l’ex-forêt perd ses capacités à capter du carbone. Cela nous prive d’un outil de lutte naturel contre les bouleversements climatiques… qui favorisent justement les incendies de forêt.

Yan Boucher, directeur de l’Observatoire de recherche régional sur la forêt boréale, calcule que 300 000 hectares de forêt brûlée sont actuellement à risque de ne pas se régénérer au Québec. C’est plus de huit fois la superficie de l’île de Montréal. Et le calcul n’inclut que la forêt dite « attribuable », soit le terrain de jeu de l’industrie forestière. Toute la forêt située plus au nord est exclue des estimations. Les superficies brûlées cet été y sont pourtant deux fois plus importantes que dans le Sud.

Bon an mal an, le Québec reboise environ 50 000 hectares de forêt brûlée. Cette année, le fardeau est donc multiplié… par six.

À raison d’au moins 2000 $ pour reboiser un hectare, la facture potentielle atteint 600 millions de dollars pour le Sud seulement. On parle de gros bidous – l’équivalent du budget annuel de l’ensemble du ministère de l’Environnement.

Il est utopique de penser qu’on reboisera toutes les zones à risque cette année ou même l’an prochain. Les arbres plantés doivent être préparés à partir de semis et ne sont pas disponibles en si grand nombre. Mais il faut que les pépinières qui font pousser ces arbres s’y mettent rapidement. Plus on attend, plus les plantes et les arbustes envahiront les zones brûlées, rendant la plantation d’arbres plus difficile – et plus coûteuse.

On attend donc le signal du ministère des Ressources naturelles et des Forêts avec impatience. À sa décharge, Québec en a plein les bras depuis le déclenchement des incendies. Mais rapiécer notre forêt trouée est maintenant prioritaire.

Bien sûr, des questions se posent avant de lancer une opération aussi coûteuse. Vaut-il la peine de reboiser certaines zones très à risque de brûler à nouveau ? Faut-il replanter les mêmes espèces ?

Christian Messier, professeur d’écologie forestière à l’Université du Québec à Montréal et en Outaouais, propose par exemple une audacieuse réingénierie de la forêt boréale, allant jusqu’à suggérer de planter des feuillus plus résistants aux flammes comme l’érable, le chêne et le bouleau dans les forêts d’épinettes. Une étude publiée cette semaine montre même que l’industrie forestière y trouverait son compte1.

L’idée ne fait toutefois pas consensus et soulève des questions. Ces arbres sont-ils vraiment adaptés au climat nordique ? Comment les nouvelles essences affecteraient-elles les écosystèmes ? Il serait intéressant de faire des essais ciblés pour le vérifier.

Le reboisement amène une autre question, politique celle-là. On sait que le gouvernement Trudeau peine à remplir son engagement de planter deux milliards d’arbres – il n’en a planté que 56 millions, selon le commissaire à l’environnement du Canada. Le reboisement post-incendies lui donne une occasion de redorer son blason. Selon nos informations, les négociations avec Québec au sujet de son éventuelle implication sont toutefois difficiles.

Il faut aussi dire que même si le protocole fédéral permet le reboisement après les incendies, la promesse de M. Trudeau était d’ajouter deux milliards d’arbres dans le paysage canadien pour capter plus de carbone, pas de compenser des pertes.

Chose certaine, il est impératif de planifier le reboisement de la forêt boréale. Ne pas agir reviendrait à baisser les bras face aux conséquences des changements climatiques.

1. Consultez l’étude A trait-based approach to both forestry and timber building can synchronize forest harvest and resilience (en anglais) Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion