On n’est pas sorti du bois en éducation.

On est arrivé au point où le ministre de l’Éducation, sachant qu’on manquera de profs à la rentrée dans deux semaines, peut seulement promettre qu’il y aura un « adulte » dans chaque classe.

Ce serait malhonnête de rendre le ministre Bernard Drainville responsable de la pénurie de main-d’œuvre.

Cela dit, M. Drainville ne s’aide pas avec ses déclarations brouillonnes et maladroites. Après l’épisode des salaires des enseignants et des députés au printemps, le ministre s’est mis à nouveau les pieds dans les plats cette semaine. En entrevue chez Paul Arcand au 98,5 FM, il suggérait de confier en priorité les groupes de maternelle aux jeunes enseignants – qu’on peine à garder dans le réseau – parce que ce sont des « classes moins exigeantes ».

Écoutez l’entrevue à la radio du ministre Bernard Drainville

Si M. Drainville voulait se mettre à dos une partie des profs à quelques jours de la rentrée, c’est réussi.

En plus, ce qu’il a prétendu est faux. Les classes de maternelle sont aussi exigeantes que les autres classes, et au moins aussi importantes.

La maternelle, c’est l’alphabet, le début de l’écriture, le vocabulaire oral, la socialisation, le goût de l’école. Il faut aussi y détecter les élèves qui ont des retards d’apprentissage. Selon Égide Royer, psychologue spécialisé en éducation, les trois années scolaires les plus importantes sont la maternelle, la 1re année et la 2e année, a-t-il expliqué au Devoir et au 98,5 FM. Plus l’enfant grandit, plus l’écart avec le groupe est difficile à rattraper.

Lisez l’article du Devoir « Les classes de maternelle sont “moins exigeantes”, dit Drainville » Écoutez l’entrevue à la radio du psychologue spécialisé en éducation Égide Royer

Ce n’est pas avec ce genre de déclaration que Bernard Drainville va établir sa crédibilité. Voilà pour la forme.

Sur le fond, il faut reconnaître que le ministre a devant lui un problème difficilement soluble à court terme.

Le Québec manque d’enseignants. Particulièrement d’enseignants qualifiés, formés en pédagogie. Et la pénurie de main-d’œuvre s’aggrave d’année en année. On forme 3250 nouveaux profs par an, mais 4200 partent à la retraite ou chagent de carrière. Bilan net : -950 profs/an.

Dans ce contexte, la prochaine rentrée scolaire s’annonce difficile. Encore plus que l’an dernier, où il manquait 700 profs à temps plein et 700 profs à temps partiel à la rentrée. Selon les données préliminaires de la Fédération québécoise des directeurs d’établissement d’enseignement (FQDE), il manque 5000 enseignants actuellement, comparativement à 1400 postes non pourvus à pareille date l’an dernier. C’est trois fois et demie plus de postes non pourvus1. (Québec fera un bilan plus complet la semaine prochaine.) « Il n’y a pas de solutions concrètes à court terme », résume Nicolas Prévost, président de la FQDE.

Lisez l’article « Rentrée scolaire : le nombre de postes non pourvus dans les écoles explose »

Le principal problème de la pénurie de main-d’œuvre en éducation : 25 % des nouveaux enseignants quittent la profession au cours de leurs cinq premières années. Souvent parce qu’ils se retrouvent avec les tâches les moins intéressantes en début de carrière.

En raison des conventions collectives, on assigne les tâches d’enseignement par ancienneté. Les jeunes enseignants choisissent ou se font offrir leurs tâches en dernier. Héritent des tâches les plus ingrates comme des contrats morcelés (ex. : 20 % d’une tâche en 2e année, 40 % en 4e année, 40 % en 6e année) ou des classes difficiles. Se découragent. Quittent la profession. On aggrave ainsi la pénurie.

Il faut rendre la profession plus attrayante pour nos enseignants en début de carrière.

Le gouvernement Legault veut ainsi mettre fin à la règle « mur-à-mur » de l’ancienneté dans l’assignation des tâches. Il lui faut s’entendre avec les syndicats dans le cadre des négociations en cours. C’est loin d’être fait, les syndicats tenant au sacro-saint principe de l’ancienneté.

Or, il faudra abolir l’ancienneté mur-à-mur dans l’affectation des tâches, pour le bien du système d’éducation et des élèves. Le poids des classes plus difficiles doit être réparti sur davantage d’épaules, pas seulement sur celles des nouveaux profs.

Au fil des ans et des gouvernements, on n’a pas assez valorisé l’éducation au Québec. On en voit aujourd’hui les conséquences.

À court terme, le gouvernement Legault ne disposant pas d’une solution miracle, il devra travailler sur plusieurs solutions en même temps pour régler la pénurie de main-d’œuvre en éducation. En voici six :

  • mieux répartir la lourdeur des tâches de façon que les jeunes enseignants n’aient plus systématiquement les tâches les plus ingrates ;
  • ne plus ouvrir de nouvelles classes de maternelle 4 ans (jusqu’à la fin de la pénurie) ;
  • encourager les étudiants de quatrième année en enseignement à faire leurs stages comme profs réguliers (ils continueraient d’être suivis par des maîtres de stage) ;
  • davantage de mentorat pour les profs en début de carrière ;
  • ajouter 4000 aides à la classe au primaire (c’est le plan de Québec, mais il faut s’entendre avec les syndicats) ;
  • élargir le télétravail pour les profs sur leurs cinq heures/semaine de travaux personnels (ex. : planification, corrections, appels aux parents). C’est d’ailleurs une demande syndicale. Il faut des conditions de travail intéressantes, et la jeune génération aime le télétravail.

Cette pénurie de main-d’œuvre aiguë en éducation est un constat d’échec collectif.

Si l’éducation est importante au Québec, on doit se regarder dans les yeux et régler ce problème.

1. Les données de la FQDE ne comprennent pas toutes les écoles du Québec, mais elles proviennent du même nombre d’écoles chaque année, ce qui en fait une bonne base de comparaison.

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