(Québec) À quelques jours de la rentrée scolaire, un coup de sonde effectué par la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement (FQDE) révèle que le nombre de postes non pourvus dans les écoles explose. Il manquerait actuellement 5000 enseignants, légalement qualifiés ou non, comparativement à 1400 à pareille date l’an dernier. Ce chiffre exclut les écoles situées sur l’île de Montréal.

La FQDE a sondé ses membres pour mesurer l’ampleur de la tâche qu’il leur reste à accomplir afin que chaque enfant ait un titulaire de classe à son retour à l’école. En date du jeudi 17 août, la fédération estime qu’il manque 2000 enseignants à temps plein et 3000 enseignants à temps partiel dans ses écoles. L’organisation représente 60 % des établissements d’enseignement du Québec. L’an dernier, à pareille date, il manquait 700 enseignants à temps plein et 700 enseignants à temps partiel.

En entrevue, le président de la FQDE, Nicolas Prévost, donne un aperçu de l’état des troupes sur le terrain. « J’ai parlé à des collègues et ils sont plus que découragés », dit-il.

De son côté, l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire (AMDES) ne dispose pas d’estimations à ce sujet. Elle rappelle que les centres de services scolaires collectent ces jours-ci les données. Le portrait de la situation, qui change au jour le jour, sera transmis au ministère de l’Éducation prochainement.

Au centre de services scolaire de Montréal (CSSDM), le plus important de la province, le nombre de postes non comblés s’élevait à 591 en date du mercredi 16 août. En 24 h, ce nombre a baissé à 478, explique Alain Perron, responsable des relations de presse.

« Il faut mettre les choses en perspective, bien que nos besoins soient importants, la plupart des postes ou affectations sont pourvus. […] Notre offensive de recrutement est intensive et a lieu en continu (campagnes de recrutement, activités auprès de clientèles cibles, entrevues, etc.), car il y a des affectations à pourvoir tout au long de l’année », dit-il. Plus de 9992 enseignants sont à l’emploi du CSSDM.

Dans tous les cas, « cette année, ça sera encore plus difficile », prévient la présidente de l’AMDES, Kathleen Legault. « C’est mathématique : chaque année, le nombre de départs dépasse le nombre d’enseignants qui se qualifient. C’est un problème qui ne peut que s’aggraver », dit-elle.

Mercredi, en marge d’une réunion du Conseil des ministres à Québec, le ministre de l’Éducation, Bernard Drainville, a affirmé que la pénurie de main-d’œuvre était si forte qu’il en venait à espérer « un adulte » par classe pour la rentrée. Cette personne pourrait ne pas avoir de formation universitaire.

Des facteurs aggravants

Il reste encore quelques jours aux directions scolaires pour poursuivre leurs recherches et contacter des enseignants, qu’ils soient qualifiés ou non, afin de combler les besoins à temps plein et à temps partiel dans les écoles.

PHOTO PHILIPPE BOIVIN, ARCHIVES LA PRESSE

Nicolas Prévost, président de la Fédération québécoise des directions d’établissement d’enseignement

Nicolas Prévost, de la FQDE, qui travaille depuis 34 ans dans le milieu de l’éducation, affirme que l’ajout de classes de maternelle 4 ans et l’ouverture de nouvelles classes spécialisées, alors qu’il manquait déjà d’enseignants dans le réseau, ont contribué à la crise qui frappe les écoles.

« Le Ministère s’est fait un peu hara-kiri lui-même. Je ne suis pas contre les maternelles 4 ans, mais dans les cinq dernières années, en ajouter une centaine par année, ce sont de nouveaux postes à combler. […] C’est autant d’enseignants de plus à trouver », illustre-t-il.

Les enseignants non qualifiés qui s’ajoutent, même lorsqu’ils sauvent la mise alors qu’il n’y a plus de titulaires de brevet qui répondent à l’appel, alourdissent la tâche déjà lourde des équipes-écoles.

« C’est un cercle vicieux. Moins j’ai de profs qualifiés, plus mon enseignant se retrouve à faire des tâches supplémentaires et plus il sera fatigué. […] Ça décourage les gens », affirme M. Prévost.

Pour la députée libérale Marwah Rizqy, porte-parole de l’opposition officielle en matière d’éducation, le ministre Bernard Drainville doit rapidement mettre en œuvre les recommandations de la vérificatrice générale du Québec, Guylaine Leclerc, qui s’inquiétait au printemps dernier que près de 30 000 enseignants, soit le quart des effectifs, pratiquent leur métier dans les classes sans être légalement qualifiés.

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Marwah Rizqy, porte-parole de l’opposition officielle en matière d’éducation

« Je m’attendais à voir un ministre qui a fait ses devoirs et qui est prêt pour la rentrée. Finalement, c’est une catastrophe. La Coalition avenir Québec a promis un redressement en éducation, mais le résultat, c’est une hémorragie », dit Mme Rizqy.

Une situation pourtant connue

Dans la métropole, Kathleen Legault, de l’AMDES, déplore que le Ministère n’ait pas écouté les signaux d’alarme que les directions d’établissement scolaire de l’île lui envoyaient depuis des années. « À Montréal, ça fait plus de 10 ans que l’on compose avec la pénurie de personnel », dit-elle.

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Kathleen Legault, présidente de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire

Montréal a été le canari dans la mine. Ça fait des années qu’on vit la pénurie de personnel, mais on a toujours senti une grande distance entre le pouvoir à Québec et la réalité montréalaise.

Kathleen Legault, présidente de l’Association montréalaise des directions d’établissement scolaire

L’an dernier, pour citer un exemple parmi tant d’autres, dit-elle, la direction d’une école secondaire n’a pas trouvé un prof de français pour une classe pendant l’ensemble de l’année scolaire.

« Qu’ont fait les autres profs ? Ils n’ont pas abandonné ces élèves-là. Ils se sont partagé la classe entre eux. On peut faire du 110 % de sa tâche pendant un mois, mais à un moment donné, on brûle notre personnel. Ce sont des gens mobilisés qui veulent que ça marche, mais on va les brûler », explique Mme Legault.

Des conséquences sur les élèves

Après deux années scolaires particulièrement marquées par la pandémie et des élèves qui n’ont pas de titulaire de classe ou qui se retrouvent devant des enseignants non légalement qualifiés, Nicolas Prévost anticipe qu’il y aura des conséquences sur la réussite des jeunes.

« On ne peut pas sortir de ça sans séquelles importantes pour l’apprentissage des élèves, c’est impossible », dit-il.

En plus des postes non pourvus chez les enseignants, le sondage réalisé par la FQDE évalue qu’il manque actuellement 1600 éducatrices en service de garde, 1440 éducatrices spécialisées et 900 professionnels dans les écoles qu’elle représente. Les directions poursuivront dans les prochains jours leurs recherches afin de pourvoir ces postes.