S'inscrire dans une université pour obtenir un permis d'études, changer ensuite pour un cours de niveau secondaire dans l'espoir d'avoir la résidence permanente plus rapidement et à moindre coût. Un stratagème utilisé par de nombreux étudiants maghrébins que le gouvernement du Québec cherche à contrer.

Des étudiants étrangers qui ont été acceptés dans une université québécoise et qui ont obtenu du fédéral leur permis d’études choisissent plutôt de s’inscrire au secondaire lorsqu’ils posent les pieds au Québec.

Une stratégie de contournement très populaire

Qu’est-ce qui peut bien les pousser à s’inscrire dans un programme qui leur permettra d’obtenir un diplôme d’études professionnelles (DEP) plutôt qu’un baccalauréat ou une maîtrise ?

Il s’agit d’une stratégie, dont La Presse a eu vent, peu connue en dehors des milieux de l’immigration. Dans un premier temps, elle permet à ces étudiants, essentiellement maghrébins, de décrocher un diplôme plus rapidement et donc de pouvoir demander la résidence permanente plus vite. En prime, elle leur permet de faire des économies, parce qu’ils pourront ensuite s’inscrire à l’université en tant que résidents, et payer les droits de scolarité prévus pour les Québécois, autour de 4000 $ par année plutôt que ceux imposés aux étudiants étrangers, soit plus de 20 000 $.

La Presse a pu confirmer l’importance de cette pratique, utilisée au cours des dernières années grâce aux travaux d’un chercheur de l’Institut national de la recherche scientifique (INRS), Islem Bendjaballah, dont la thèse de doctorat porte sur le parcours migratoire des étudiants maghrébins.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Islem Bendjaballah, inscrit au doctorat à l’INRS, s’est intéressé au parcours migratoire des étudiants maghrébins.

« J’avais remarqué une tendance chez ces gens-là un peu différente des autres étudiants. Par exemple, le fait de s’inscrire dans une maîtrise et de changer pour un DEP une fois qu’ils sont ici, explique-t-il. Je savais que ça existait, mais je ne savais pas que c’était très courant. Quand j’ai commencé le terrain, j’ai trouvé que plus de 50 % des étudiants maghrébins qui viennent avec un baccalauréat ou une maîtrise ou même un doctorat changent pour un DEP » une fois arrivés au Québec.

« Le fait de s’inscrire à une université, ce n’est pas vraiment un objectif, ajoute-t-il. C’est juste pour avoir un permis d’études parce qu’ils ont plus de chance de l’avoir qu’avec un DEP. Tous les étudiants internationaux maghrébins qui viennent ici sont hautement qualifiés et hautement diplômés. La majorité ont un diplôme de 2e cycle. Donc, les agents d’immigration se méfieraient s’ils étaient inscrits dans un DEP. »

Les étudiants internationaux doivent payer des frais de scolarité pouvant aller jusqu’à 24 000 $ par année, à la maitrise. « C’est beaucoup », constate Bendjaballah. Alors que pour une formation de DEP de 18 mois, ils vont payer entre 18 000 $ et 24 000 $, selon l’institut et le programme. Une fois diplômé, ils vont pouvoir appliquer pour la résidence permanente, avoir la résidence permanente, et par la suite, aller à l’université en payant beaucoup moins cher, autour de 3000 $ par année. Donc, ils ont trouvé la solution du DEP. »

Pour s’inscrire dans un DEP, après avoir été admis dans une université, ces étudiants doivent toutefois demander un nouveau certificat d’acceptation du Québec (CAQ), délivré par le ministère de l’Immigration.

Peut-on chiffrer le phénomène ? Difficilement. Les statistiques officielles ne reposent pas sur le suivi individuel de ces étudiants. Bien souvent, les universités ne savent pas pourquoi un étudiant étranger accepté dans un programme ne se présente pas. En outre, les écoles professionnelles et les centres de services scolaires ne connaissent pas le cheminement de leurs élèves.

On peut cependant donner un ordre de grandeur des inscriptions d’étudiants internationaux à des programmes menant à un DEP. Pour les deux principaux centres de service scolaires de l’île de Montréal, la proportion est d’environ 13 % : 851 élèves étrangers inscrits au DEP sur un total de 6429 élèves au centre de services scolaire Marguerite-Bourgeoys (CSSMB) et 2200 élèves étrangers sur un total de 16 000 au centre de services scolaire de Montréal (CSSDM).

On sait également, grâce aux données du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration du Québec (MIFI), que le nombre d’étudiants du Maghreb détenant un permis d’études, tout niveau confondu, a été en forte hausse, passant de 4320 en 2016 à 10 865 en 2021, soit une augmentation de deux fois et demie.

Est-ce de la triche ?

L’existence de cette pratique soulève des questions de nature éthique. Il est clair qu’il s’agit d’une stratégie de contournement du système d’approbation des étudiants étrangers. Mais est-ce de la triche ?

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Étudiants en plomberie à Montréal

Islem Benabdallah y voit plutôt une « stratégie de mobilité internationale ». « On a toujours pris les étudiants internationaux comme des personnes qui subissent la politique migratoire. Mais ces étudiants ont aussi des stratégies. Donc, ils changent leurs stratégies en fonction des conditions de vie ou des politiques. »

Sa directrice de recherche, Annick Germain, professeure à l’INRS, est du même avis. « Ces étudiants n’ont enfreint aucune règle », dit-elle.

En effet, les étudiants qui changent ainsi de niveau d’études le font en respectant les mécanismes prévus, c’est-à-dire en faisant une nouvelle demande d’approbation au ministère de l’Immigration pour le changement de leur parcours scolaire.

Dans l’ensemble, on peut difficilement s’étonner du fait qu’ils développent des stratégies, observent des spécialistes. Ils doivent composer avec diverses contraintes et des délais, parfois arbitraires, qui font que leur cheminement est souvent une course à obstacles.

D’un point de vue moral, je ne vois absolument aucun problème avec ça. On est là pour faire appliquer la loi. Mais, en même temps, moi, mes stratégies au quotidien, c’est d’essayer de trouver des brèches dans la loi sur l’immigration et son règlement pour trouver une porte d’entrée à mes clients.

Isabelle Dumais-Beaulieu, consultante en immigration

MNadia Barrou, spécialisée en immigration, y voit néanmoins un problème, dans la mesure où ces étudiants mentent sur leur intention de départ.

« On peut décider d’immigrer après les études, mais il faut que l’intention principale, ce soient les études, précise-t-elle. Ça ne doit pas être une immigration déguisée. »

Au Canada, on sait que l’un des objectifs clairement exprimés par les gouvernements du Québec et du Canada est d’attirer des étudiants étrangers parce que ceux-ci constituent un bassin d’immigration de qualité. « Les étudiants internationaux, particulièrement ceux qui parlent français, sont une richesse pour le Québec », reconnaît le cabinet de la ministre du MIFI.

Et pourtant, si, dans leurs demandes de permis d’études, les étrangers disent vouloir étudier au Canada pour immigrer, ils seront refusés. La philosophie sous-jacente au système force donc bien des candidats à entamer leur relation avec le Canada sur un mensonge. C’est pour cette raison que plusieurs estiment que ce concept de double intention devrait être abandonné.

« Il faudrait qu’un étudiant puisse dire : “Je veux immigrer, ma seule option est d’étudier, c’est pour ça que je vais faire un DEP.” Les choses seraient claires », explique MBarrou.

« Je trouve qu’à certains égards, on devrait alléger les conditions d’entrée ou d’admissibilité », ajoute Mme Dumais-Beaulieu.

Deux étudiants, deux parcours

Ils sont tous les deux algériens. Ils ont tous les deux 30 ans. Et ils sont tous les deux venus ici avec un permis d’études. Mais les chemins qu’ils ont empruntés pour obtenir la résidence permanente sont différents.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Alla Eddine Ghazouli est diplômé en architecture en Algérie. Ici, il a fait un cours au niveau secondaire en dessin de bâtiment.

« La baguette magique »

Le premier, Alla Eddine Ghazouli, formé en architecture dans son pays, a opté pour un diplôme d’études professionnelles (DEP), une formation au niveau secondaire, pour immigrer au Canada, après avoir été admis à l’université.

« Le programme d’immigration qui m’intéressait le plus, c’est celui du Canada, explique-t-il. On parle français au Québec. J’aime le mode de vie. Il y a beaucoup de programmes d’études, beaucoup d’options. Et beaucoup plus d’occasions qu’en Europe.

Au début, je pensais aller à l’université. Mais je suis venu et je me suis inscrit à l’École des métiers du Sud-Ouest de Montréal. C’est une formation rapide et c’est efficace. Normalement, c’est 18 mois. Mais avec la COVID-19, ça m’a pris deux ans.

Alla Eddine Ghazouli

Sa formation en dessin de bâtiment lui a coûté 20 000 $.

« Dans mon temps, le DEP, c’était la baguette magique, souligne-t-il. C’était la façon la plus rapide et la moins chère pour accéder à la résidence. Mais ça a changé avec la réforme du PEQ [Programme de l’expérience québécoise]. »

Depuis juillet 2020, les étudiants internationaux qui demandent la résidence permanente dans le cadre du PEQ doivent détenir une expérience de travail post-diplôme. Pour les titulaires d’un DEP, il faut avoir 18 mois d’expérience professionnelle. La nouvelle mouture du PEQ, qui doit entrer en vigueur à l’automne, prévoit toutefois l’abolition de l’expérience de travail comme condition d’admissibilité pour tous les diplômés.

La stratégie du DEP n’est pas nécessairement la meilleure solution pour immigrer et ce n’est pas toujours intéressant sur le plan financier, constate Alla Eddine Ghazouli. « La différence entre une maitrise et mon DEP, c’est environ 10 000 $ pour la formation, souligne-t-il. Si j’avais fait une maîtrise, ça m’aurait coûté 31 000 $.

Des regrets ? « Ce qui est arrivé est arrivé, dit-il. Mais je conseillerais à des amis de faire l’université ici. Le DEP, à mon avis, ce n’est pas une bonne stratégie. »

Il y a quelques mois, Alla Eddine Ghazouli a pu déposer sa demande de sélection permanente au ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI). Une fois admis comme résident permanent, il compte entreprendre des démarches pour faire reconnaître son diplôme algérien en architecture et suivre, au besoin, les cours supplémentaires requis.

Son but ? « J’ai beaucoup de buts, répond-il. Je suis très ambitieux. Par exemple, je veux ouvrir ma propre entreprise au Québec. »

« J’ai eu de la chance »

Le second, Amine Badaoui, a poursuivi ses études universitaires au Québec.

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Amine Badaoui a fait une maîtrise en génie informatique à Polytechnique Montréal.

Diplômé en génie informatique et en administration des affaires en Algérie, il a fait une maîtrise en génie informatique à Polytechnique Montréal, où 46 % des étudiants aux cycles supérieurs proviennent de l’étranger.

Un DEP ? « Pas question ! lance-t-il. J’avais amassé un peu d’argent. En plus, j’avais une bourse d’études ici. »

Amine Badaoui a eu droit à une bourse d’exemption des droits de scolarité supplémentaires destinée aux étudiants étrangers. Au lieu de payer les 40 000 $ exigés des étudiants étrangers inscrits dans un programme professionnel de maîtrise, il a payé les mêmes droits de scolarité que les étudiants québécois, soit 4200 $.

« J’ai eu de la chance, reconnaît-il. C’était offert à tout le monde, il fallait juste faire la demande. »

Diplômé en janvier 2022, il a été embauché par un studio de jeux vidéo un mois plus tard.

Compte-t-il rester à Montréal ? « Oui, je vois beaucoup d’occasions d’emploi, d’évolution, dit-il. C’est différent de mon pays. On réalise des choses. On construit des choses. »

Dans les faits, Amine a déjà sa résidence permanente. Pour aller plus vite, il a présenté une demande dans un programme fédéral, sans passer par le PEQ.

« J’ai pris un autre chemin, explique-t-il. Puisque j’avais déjà de l’expérience de travail, j’ai fait une demande en ligne dans le programme Entrée express et j’ai été directement accepté. Après mes études, j’ai demandé mon permis de travail. Peu de temps après, j’ai reçu ma résidence permanente. »

L’État serre la vis

Alerté par les universités, l’État a pris bonne note du stratagème du diplôme d’études professionnelles (DEP) et mis en place des mesures pour obliger les étudiants maghrébins à suivre le parcours scolaire qui leur a permis d'atterrir au Québec.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, ARCHIVES LA PRESSE

Institut Aviron à Montréal

Une école privée non subventionnée qui offre des DEP, l’Institut Aviron, a par exemple noté une diminution importante des inscriptions en 2022. « On a une baisse de près de 50 % », précise le conseiller Ramy Suissa. « On a 300, 350 élèves par année. On en avait dans les 500 avant. »

Cette stratégie s’est développée il y a environ six ans, selon Nadia Barrou, avocate spécialisée en immigration. Cela correspond au moment où, selon les statistiques du ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI), le nombre d’étudiants maghrébins titulaires d’un permis d’études a explosé entre 2016 et 2021, passant de 1035 à 4700 pour l’Algérie, de 1740 à 4030 pour le Maroc et de 1545 à 2135 pour la Tunisie.

Ce système bien rodé a d’abord été mis à mal par les changements aux politiques d’immigration adoptés par le gouvernement Legault, en 2020. Les étudiants étrangers, qui jusque-là avaient accès à la résidence permanente après l’obtention de leur diplôme, devaient travailler à la fin de leurs études avant de pouvoir postuler : 18 mois pour les titulaires d’un DEP, 12 mois pour les autres diplômés.

Cette mesure a eu un impact plus marqué chez les étudiants qui avaient opté pour un DEP, en le privant de son principal avantage, celui d’être une voie rapide. « Ça a été le début de nos problèmes », confirme M. Suissa, de l’Institut Aviron.

Plaintes des universités

À cela s’est ajouté un second élément. « Au début, ça fonctionnait. Mais après, les universités se sont plaintes, rapporte MBarrou. Elles réservaient 200, 300 places à des étudiants étrangers et il n’y en a pas un qui venait. Les plaintes ont été acheminées au gouvernement. »

Théoriquement, l’étudiant accepté dans un programme universitaire qui veut passer à une formation offerte au secondaire doit demander un nouveau certificat d’acceptation du Québec (CAQ), avant d’entamer sa formation DEP.

« Les dégradations de niveau, ça ne passe plus au MIFI. Les refus sont quasi automatiques », constate Isabelle Dumais-Beaulieu, consultante en immigration.

C’est devenu très difficile pour quelqu’un qui est inscrit à l’université d’arriver au Québec et de changer pour un DEP. On ne lui dit pas qu’il n’a pas le droit, mais on va lui mettre tellement de bâtons dans les roues, de délais, d’intentions de refus qu’il va se retrouver à attendre sans étudier. Puis là, on va lui dire : “Vous n’avez pas respecté les conditions de séjour, qui sont d’étudier. Donc, on ne vous donnera pas de permis.”

Nadia Barrou, avocate spécialisée en immigration

Un troisième choc affectera la prochaine session scolaire. À partir du 1er septembre, les élèves inscrits au DEP dans des écoles privées non subventionnées n’auront plus accès au permis de travail post-diplôme.

Ce permis, qui leur permet de rester au Canada pour travailler à la fin des études, est largement utilisé par les étudiants étrangers. C’est même le cheminement privilégié pour demander la résidence permanente.

Les écoles privées perdent ainsi un attrait important pour les étudiants étrangers. « Plusieurs écoles privées vont fermer parce qu’un élève qui ne peut pas avoir permis de travail post-diplôme après ses études, ça ne l’intéresse pas de rester dans cette école », affirme MBarrou.

Réforme du PEQ

En principe, la nouvelle réforme du Programme de l’expérience québécoise (PEQ), envisagée par Québec, pourrait redonner de la vigueur au stratagème utilisé par les étudiants maghrébins parce que les candidats francophones n’auront plus à détenir une expérience de travail avant de pouvoir demander la résidence.

Mais comme les dégradations de niveau sont devenues très difficiles à obtenir au MIFI, le nouveau PEQ ne pourra pas encourager cette pratique.

« Ils sont devenus beaucoup, beaucoup plus sévères dans l’attribution des permis d’études parce qu’ils ne croient plus les étudiants, explique Nadia Barrou. Quand un étudiant leur dit : “Je vais aller faire un baccalauréat à Chicoutimi”, ils présument que c’est faux. Il y a eu trop de personnes qui ont utilisé ce stratagème pour venir comme étudiants. »

En savoir plus
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    Nombre de certificats d’acceptation du Québec (CAQ), délivrés à des étudiants étrangers inscrits dans des programmes d’études menant à l’obtention d’un DEP, en 2022
    Source : ministère de l'Immigration, de la Francisation et de l'Intégration du Québec
    93 370
    Nombre de titulaires d’un permis d’études, au Québec, en 2022
    Source : ministère de l'Immigration, de la Francisation et de l'Intégration du Québec