Des jeunes de 1re année d’une école primaire de Montréal ont vu défiler une quinzaine de personnes dans leur classe depuis septembre : une dizaine de suppléants à la journée et cinq professeurs, selon le calcul de la mère d’un élève. Il faut « relativiser » ce chiffre, rétorque le centre de services scolaire de Montréal (CSSDM).

La chronologie des courriels envoyés par la direction aux parents de cette classe a de quoi étourdir.

En août dernier, les élèves d’une classe de 1re année de l’école Dollard-des-Ormeaux, à Ville-Émard, entament une année charnière où ils apprendront à lire et à écrire. Ils ont devant eux une remplaçante (Mme B).

La titulaire de leur classe, Mme A, doit officiellement revenir le 1er octobre.

Le 7 septembre, un jeudi, les parents apprennent dans une lettre que Mme B doit s’absenter.

« Soyez assurés que nous travaillons de concert avec les différents intervenants pour assurer un service de qualité à vos enfants », écrit la directrice de l’école dans un courriel aux parents.

Le mercredi suivant, le 13 septembre, les parents apprennent que l’enseignante de la classe est maintenant Mme C. La rencontre de parents prévue cette semaine-là est reportée et se tiendra « une fois que la situation se sera stabilisée ».

Nouveau courriel de la direction le 25 septembre : l’enseignante titulaire (Mme A) ne reviendra pas au début d’octobre comme prévu. Mme C est remplacée par Mme D.

« Nous sommes heureux et soulagés que nous ayons eu la confirmation cette semaine qu’elle sera l’enseignante de vos enfants jusqu’au retour de Mme A », écrit la direction.

Le 23 novembre, l’école ferme en raison de la grève des enseignants.

Quand elle rouvre, le 8 janvier, le plan ne tient plus : Mme D a « obtenu un poste menant à la permanence dans une autre école » du centre de services. C’est donc Mme B, une enseignante à la retraite, qui revient en classe jusqu’à ce qu’une « remplaçante stable » soit trouvée.

Les élèves connaissent Mme B, qui a officié quelques jours dans la classe en septembre, mais une semaine plus tard, les parents apprennent que Mme E « a obtenu le poste de remplacement ».

« Nous vous remercions de votre compréhension et de votre patience. Je comprends que la situation n’a pas été de tout repos pour vous », écrit alors la directrice.

Les élèves de la classe n’auront pas de stabilité pour autant.

Le 19 février, la directrice écrit : « Vos enfants vous ont peut-être déjà mentionné que [Mme E] a été absente la semaine dernière pour des raisons de santé. Selon les informations qui m’ont été transmises, elle sera de retour à l’école ce mercredi. »

« Je suis pleinement consciente que cette nouvelle situation est inquiétante pour vous comme parents », ajoute-t-elle.

Un mois plus tard, la titulaire de la classe, que les élèves ne connaissent pas, reprend son poste.

« Je suis heureuse de vous annoncer que [Mme A] sera de retour en classe de manière progressive à partir de lundi 25 mars. Ainsi, au cours des prochaines semaines, elle travaillera 2 jours, 3 jours et 4 jours par semaine jusqu’à son retour à temps plein à la fin du mois d’avril », écrit la direction.

Mme E assurera les autres jours.

Son retour durera deux semaines : le 8 avril, Mme A s’absente à nouveau pour une période indéterminée.

« Heureusement, nous sommes en mesure de confirmer que [Mme E] reprendra le groupe à temps plein », écrit cette fois la directrice.

Mardi soir, les parents ont reçu une nouvelle lettre de l’école : la titulaire, Mme A, effectuera un nouveau retour progressif à compter de lundi prochain.

« Vous pouvez déjà l’annoncer à votre enfant si vous le souhaitez. Nous en ferons également l’annonce en classe au cours de la semaine », écrit la direction, qui fait état de « circonstances particulières ».

« Chaotique »

Karine Avard est la mère d’un élève de cette classe. Entre chaque remplacement « officiel » confirmé par courriel, plusieurs personnes se sont succédé en classe : elle a compté 17 adultes, selon les changements que lui rapportait son enfant.

Ce chiffre est-il exact ? Le porte-parole du CSSDM, Alain Perron, dit qu’il n’est pas en mesure de le confirmer et ajoute qu’il faut « relativiser » ce chiffre. Même dans une classe qui a eu un seul titulaire toute l’année, « il peut y avoir sept, huit, dix absences dans une année », dit M. Perron. Et ces absences peuvent être comblées par des personnes différentes.

« Il y a effectivement eu une succession de circonstances qui a amené des suppléances dans cette classe, ajoute-t-il. Il y a un numéro qui a été tiré et ç’a été cette classe-là. »

Le premier mois a été « le plus chaotique », dit Mme Avard. « Il n’y avait aucune façon de savoir ce qui se passait », ajoute-t-elle.

Mais après la grève, la « valse des allers-retours » s’est poursuivie. Même les remplaçants confirmés dans les courriels de la direction avaient des « journées aléatoires non consécutives », parce qu’ils prenaient eux-mêmes congé.

Le père d’un autre jeune de cette classe a témoigné à La Presse de « l’instabilité » chez les enseignants, qui a eu des effets sur son enfant.

« J’ai même pensé plusieurs fois à le sortir de l’école jusqu’à la fin de l’année scolaire et compenser comme je le faisais lors de la grève », écrit l’homme, qui ne veut pas être nommé.

« Cela aurait été difficile, mais faisable. Je ne l’ai pas fait parce que j’ai senti une amélioration et que je crois que la vie sociale des enfants est très importante », ajoute-t-il, précisant qu’il a eu des entretiens avec la direction et l’enseignante actuelle.

En avril, Karine Avard et son mari ont retiré leur enfant de l’école pendant une semaine, jusqu’à ce qu’on leur assure que ce serait la même personne pendant trois jours consécutifs.

Ils ont porté plainte au CSSDM. « Ce ne sont pas tous les parents qui ont le temps, l’énergie, ou même qui pensent qu’ils ont le droit de demander des comptes », dit Mme Avard.

Combien de parents ont porté plainte ? Le CSSDM n’a pas répondu à cette question.

L’école primaire Dollard-des-Ormeaux a un indice de défavorisation élevé.

Selon les données publiées par Québec, il y a actuellement 157 postes d’enseignant à pourvoir au CSSDM et 1000 dans l’ensemble de la province.

Au début de l’année scolaire, le ministre de l’Éducation avait assuré qu’il visait d’abord à avoir un prof qualifié dans toutes les classes, ou sinon un prof avec un baccalauréat dans une autre discipline.

« Et puis, dans certains cas, on le sait que ça n’a pas été possible l’année passée, à ce moment-là, on souhaite avoir un ou une adulte », avait affirmé Bernard Drainville.