On me pardonnera une chronique fâchée-fâchée, mais j’ai l’impression de me répéter depuis près de dix ans sur l’école. On apprenait ces derniers jours que 5000 enseignants manquent à l’appel au seuil de la rentrée scolaire 2023.

C’est un problème que la vie a télégraphié au gouvernement du Québec il y a des années. Le problème ne s’est jamais résorbé. Il a toujours enflé à chaque rentrée. Le problème a existé sous les libéraux, les péquistes et maintenant les caquistes. Il y avait pénurie de profs avant que l’expression « pénurie de main-d’œuvre » s’incruste dans la société.

Le ministre Bernard Drainville parle maintenant de son espoir d’avoir « un adulte » par classe. Pas une enseignante par classe, non : un adulte par classe. Traduction : un adulte non formé pour… surveiller.

Et enseigner ?

Apparemment, l’ambition que chaque classe au Québec soit menée par un enseignant, c’est trop demander au système scolaire.

Pourquoi y a-t-il pénurie de profs au Québec ? Près de dix ans à écrire sur l’école m’ont permis de dégager trois grands axes d’écœurement chez les enseignants, écœurement qui en pousse beaucoup à aller cultiver des tomates loin des écoles.

Un, la tâche est (souvent) trop lourde. L’écrémage des meilleurs élèves par le privé et les programmes particuliers du public laissent dans leur sillage des classes dites « régulières » où élèves réguliers et en difficulté posent des défis d’enseignement épuisants dans le secteur public.

Deux, le déficit d’appui aux profs qu’on charge d’intégrer les élèves en difficulté dans les classes dites régulières. L’intégration, ça se fait… Mais avec l’appui de moyens technologiques (WordQ, pour les intimes), de professionnels comme les orthophonistes, orthopédagogues et psychologues ainsi que des très essentielles techniciennes en éducation spécialisée (TES).

Or, qu’ont fait les commissions scolaires sous les péquistes et les libéraux quand, au fil des décennies, elles ont dû répondre aux commandes de compressions budgétaires de Québec ?

Eh oui, elles ont coupé dans ces postes d’orthophonistes, d’orthopédagogues, de psychologues et de techniciennes en éducation spécialisée qui épaulaient les profs en classe.

Résultat : nombre d’orthophonistes, d’orthopédagogues et de psychologues sont allées pratiquer au privé et n’ont aucun intérêt à pratiquer dans les écoles publiques. Les TES ne peuvent pas pratiquer au privé. Mais on les confine souvent dans des horaires brisés, un jour ici, deux jours là-bas, etc.

Les enseignantes du Québec n’ont donc pas un appui égal de ces « ressources » essentielles dans des classes où les élèves en difficulté (d’apprentissage et/ou de comportement) monopolisent leur attention et leur énergie.

Trois, les jeunes enseignants inexpérimentés héritent souvent des classes les plus difficiles. L’enseignante qui compte plus d’années d’enseignement, elle, peut postuler pour une classe moins difficile.

Sous le prisme syndical, c’est d’une logique magnifique. Dans le monde réel, c’est illogique. Pour la motivation et la rétention des jeunes profs, c’est contre-productif.

Ce que je viens d’énumérer comme maux du réseau scolaire, ça n’a rien de sorcier. C’est connu depuis toujours. Et c’était connu sous le règne de Jean-François Roberge, premier ministre caquiste de l’Éducation, lui-même un ancien enseignant.

Ces maux n’ont rien de sorcier, et pourtant, depuis plus d’une décennie, les pénuries de profs s’aggravent à chaque rentrée scolaire du primaire et du secondaire. Ces maux n’ont rien de sorcier, et pourtant, depuis plus d’une décennie, rien n’a permis de les corriger, dans un splendide laisser-aller transpartisan.

Le taux de décrochage des profs – autour de 20 % des profs démissionnent avant d’atteindre les cinq ans d’ancienneté – finit par peser lourd dans la balance de la pénurie de main-d’œuvre enseignante…

La solution ?

Formons plus de profs, formons plus de profs, et plus vite !

Idée complètement folle : peut-être qu’on pourrait commencer par bichonner les profs qui sont sur le payroll, plutôt que de les écœurer de mille façons ?

On va s’habituer, remarquez. On s’habitue à tout, tout le temps, les Québécois. On s’est habitués à attendre 17 heures 22 minutes aux urgences pour une entorse à la cheville et on s’est habitués à attendre des mois pour des opérations qui ne relèvent pas de la survie, mais de la qualité de vie…

Alors, oui, on va s’habituer à ce que des surveillantes fassent du gardiennage avec nos enfants plutôt que d’avoir des enseignantes qui leur enseignent.

(Précision, ici : je salue le dévouement des personnes motivées et de bonne foi qui viennent aider dans les écoles. La question est ailleurs : dans une société où l’école est importante, 5000 postes de prof ne seraient pas à pourvoir cette année.)

Je vous entends d’ici, lecteurs aux aguets : « Surveiller et enseigner, monsieur le chroniqueur, ce sont deux choses différentes. Qu’en est-il des apprentissages, qu’en est-il de la matière à assimiler, des participes passés, de l’algèbre, des tables de multiplication, de la lecture, de la compréhension de texte, des divisions seigneuriales en Nouvelle-France… »

Réponse : les directions d’école vont se faire dire (subtilement ou pas) par les directions générales des centres de services scolaires (comme sous les commissions scolaires) que les profs sont trop sévères dans leurs grilles de correction. On va baissez la bare, on va gonflé les notes : sa ne paraîtra pas, ou presk*.

Et pour les parents qui en ont les moyens (ainsi que ceux qui vont trouver les moyens), il y aura toujours l’option du privé. Ça, c’est la solution individuelle, parfaitement compréhensible d’un point de vue familial : tu ne veux pas que ton enfant soit un cobaye sous surveillance…

Collectivement, comment corriger les maux de l’école ?

Je suis étonné que le ministre Bernard Drainville n’ait pas encore émis pour l’Éducation l’idée caressée par ses collègues de la Santé et des Transports : confier l’École à une « agence ».

Ça ne devrait pas tarder.

* Les fautes, c’est voulu…