Ce n’est pas d’hier que la politicaillerie pollue la gestion de notre réseau routier.

À l’époque de Duplessis, on récompensait les patelins qui avaient voté « du bon bord » avec des bouts de chemin. Récemment encore, les circonscriptions qui appuyaient les gouvernements en place décrochaient plus que leur part des investissements à l’approche des élections.1

1. Consultez l’essai « The road to power : partisan loyalty and the centralized provision of local infrastructure » (en anglais)

Tout cela est malsain. Il faut sortir le béton des élections.

On se réjouit donc d’apprendre que le gouvernement Legault explore l’idée de créer une agence des transports, comme le révélait notre collègue Tommy Chouinard, lundi.2

2. Lisez l’article « Réforme en route au ministère des Transports »

Il s’agit d’un virage à 180 degrés pour la Coalition avenir Québec (CAQ), qui avait déchiré sa chemise quand le ministre péquiste Sylvain Gaudreault avait présenté son projet d’Agence des infrastructures de transport, il y a 10 ans.

La CAQ nous prouve une fois de plus qu’elle est capable d’ajuster son tir, ce qui est tant mieux.

Certains verront là l’influence de Dominique Savoie, que la CAQ a nommée au prestigieux poste de chef de la fonction publique du Québec, en juillet dernier. C’est elle qui était sous-ministre des Transports lorsque M. Gaudreault avait présenté son projet. Tout récemment, c’est aussi elle qui a encouragé le ministre Christian Dubé, dont elle était le bras droit, à mettre sur pied une agence de la santé.

D’autres diront plutôt qu’il s’agit d’une réaction à la déconfiture du troisième lien que la CAQ a promis aux électeurs de Québec, sans la moindre étude à l’appui, pour ensuite faire marche arrière après le scrutin. Une agence des transports aurait certainement permis d’éviter un tel dérapage politique. Le Ministère se concentrerait sur les grandes orientations et confierait à cette agence le soin de trouver les meilleures solutions pour les mettre en pratique.

Exit la politique de nos routes !

Autre avantage : la création d’une agence ne serait pas soumise à la Loi sur la fonction publique. Elle aurait donc plus de flexibilité dans le recrutement et le maintien du personnel spécialisé que les entreprises privées attirent avec des salaires plus élevés. Ainsi, on cultiverait à l’interne une expertise technique, ce qui éviterait les faux pas coûteux.

Le modèle des agences fonctionne dans d’autres domaines, pensons seulement à Hydro-Québec ou à l’Agence du revenu. Pourquoi pas aux transports ?

En 1992, la commission Hyndman créée par le fédéral avait d’ailleurs suggéré aux provinces de confier à des entités indépendantes la gestion de leur réseau routier. La Colombie-Britannique a suivi cette route en créant la BC Transportation Financing Autority.

En Suède, le modèle des agences s’applique tous azimuts. L’État n’a qu’une douzaine de ministères qui ne comptent qu’une centaine d’employés chacun, tandis que 99 % des fonctionnaires travaillent dans plus de 300 agences indépendantes, explique le professeur Stéphane Paquin dans l’ouvrage Social-démocratie 2,1 : Le Québec comparé aux pays scandinaves.3

En s’inspirant de ce modèle, on éviterait la politisation qui pousse parfois les ministres à prendre des décisions aberrantes sous le coup de l’émotion, en réagissant à des évènements qui viennent de se produire, sans nécessairement s’appuyer sur la science et les meilleures pratiques.

En plus, une agence des transports protégerait les politiciens de l’éternelle tentation d’annoncer un nouveau projet routier au lieu de consacrer leur budget à l’entretien, en suivant l’idée qu’un coup de ciseau dans un ruban est plus payant politiquement que la réfection d’un nid-de-poule.

Mais les Québécois en ont ras le bol de l’état pitoyable de leurs routes. Et pour cause. Presque la moitié du réseau (44 %) est en mauvais état, selon le dernier Plan québécois des infrastructures (PQI). Tout réparer coûterait 20 milliards, une somme qui ne cesse de s’accroître, car nos infrastructures se détériorent plus vite qu’on parvient à les réparer.

Au-delà de la création d’une agence, il faut donc s’attaquer au sous-financement chronique d’entretien de nos infrastructures. Sinon, on ne sera guère plus avancés.

Et encore faut-il que la création d’une éventuelle agence s’accompagne d’une solide reddition de comptes, comme c’est le cas en Suède, où les résultats des agences sont scrutés par le Parlement, qui peut compter sur des agences spécialisées dans l’analyse de performance.

Sans transparence, sans responsabilisation, la création d’une agence risque de brasser des structures pour rien.

3. Stéphane Paquin. Social-démocratie 2,1 : Le Québec comparé aux pays scandinaves, 2e éd. rev. et aug., Montréal, Presses de l’Université de Montréal, 2016, 484 p.

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