Le ministre Pierre Fitzgibbon a causé toute une commotion cette semaine en déclarant qu’il faudra réduire le nombre de voitures sur nos routes pour atteindre nos cibles d’émission de gaz à effet de serre (GES), en 2050.

En disant cela, il s’est attaqué à tout un symbole : le sacro-saint char, qui fait partie de notre identité nord-américaine. Le seul fait d’évoquer une simple réduction du nombre de véhicules sur nos routes déchaîne les passions.

C’est d’autant plus vrai quand les gens font semblant de ne pas bien comprendre les propos du ministre.

Non, le ministre de l’Énergie n’a pas déclenché une « guerre à l’auto », comme l’a prétendu le chef du Parti conservateur du Québec, Éric Duhaime.

Et bien sûr, il n’a pas suggéré aux résidants de Matane ou de La Tuque de conduire leur enfant à la garderie à pied ou en autobus en plein hiver.

Pierre Fitzgibbon n’a fait que constater un fait que tous ceux et toutes celles qui s’intéressent à la question connaissent depuis longtemps : il y a beaucoup trop d’autos au Québec.

À Montréal, leur nombre croît plus vite que la population. En 20 ans, au Québec, le nombre de véhicules de promenade (autos et VUS) est passé de 3,6 à 5,2 millions. On ne peut plus continuer à ce rythme-là, il faut renverser la vapeur. Et il faut commencer maintenant, pas dans 20 ans.

Comme l’a souvent dit Catherine Morency, titulaire de la Chaire Mobilité et professeure à Polytechnique Montréal, l’idée n’est pas d’éliminer l’auto. Bien sûr qu’on a besoin d’une auto dans certaines situations. L’idée est surtout de remettre en question la possession d’un véhicule. Quand on sait qu’en général, une voiture reste stationnée 90 % du temps, il serait intelligent d’imaginer des solutions pour que plusieurs personnes partagent un même véhicule. L’autopartage est une de ces solutions. Il peut y en avoir d’autres.

Pour que les gens délaissent l’auto, il faut également leur offrir des solutions de rechange intéressantes en investissant massivement dans les transports publics dans les régions déjà densifiées, en commençant par les principales villes du Québec. Montréal, bien sûr, mais aussi Laval, Longueuil, Sherbrooke, Gatineau et Québec.

Les résidants de ces villes devraient avoir l’embarras du choix pour se déplacer sans auto. Or, c’est encore la croix et la bannière dans plusieurs quartiers. Nos villes sont conçues en fonction de l’auto. Il faut les repenser en fonction des transports publics et actifs.

Il faut regarder du côté des villes qui ont réussi à diminuer le nombre d’autos sur leur territoire pour s’en inspirer : à Londres et à Stockholm, par exemple, on a instauré un péage pour accéder au centre-ville. À Oslo, le péage pour entrer en ville est modulé selon l’heure de la journée et dégressif selon le type de véhicule (les autos plus polluantes paient plus cher). On peut également s’inspirer de Portland, Copenhague et Munich et limiter davantage le nombre d’espaces de stationnement (tout en ajoutant des places de stationnement pour personnes à mobilité réduite) afin de décourager les gens de se rendre au centre-ville en auto. On peut aussi faire comme Barcelone et multiplier les quartiers 100 % piétons, ce que Montréal a commencé à faire avec la piétonnisation estivale de plusieurs artères.

On peut également multiplier les pistes cyclables, ce que fait déjà Montréal.

Toutes ces mesures porteront leurs fruits pourvu que les transports en commun soient accessibles, efficaces et fiables. Or, depuis la pandémie, c’est le contraire : la fréquence et le sentiment de sécurité ont diminué dans le métro de Montréal (et ailleurs au pays).

Les transports en commun souffrent d’un sous-financement chronique et il faudra beaucoup de courage politique pour mettre en place des modes de financement prévisibles et récurrents. Le premier ministre François Legault a voulu tempérer les propos de son ministre de l’Énergie cette semaine en répétant que la transition allait se faire sans contrainte. C’est impossible.

Pour développer le transport collectif en continu, il n’y aura pas 36 solutions : le gouvernement doit oser imposer une taxe kilométrique plutôt qu’une taxe sur l’immatriculation, ce en faveur de quoi nous avons déjà plaidé ici.

Notre collègue Tommy Chouinard nous apprenait cette semaine que le gouvernement Legault s’apprête à créer une nouvelle agence qui sera responsable des grands projets de transport collectif. C’est une bonne nouvelle. C’est un geste qui traduit l’importance que le gouvernement veut accorder à ce type de projets. Mais à quoi bon créer une nouvelle structure si on ne lui donne pas les moyens de ses ambitions ? Et si on hésite à poser le vrai diagnostic, ce qu’a fait Pierre Fitzgibbon cette semaine en déclarant qu’il y avait trop d’autos au Québec ?

Souhaitons que sa lucidité soit contagieuse.

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