Lequel de ces trois évènements, tous survenus en moins de 24 heures, est le plus inquiétant pour la santé démocratique du Parti républicain :

  1. Donald Trump, très grand favori dans la course à l’investiture républicaine à la présidence, s’est livré aux autorités dans une prison en Géorgie. Il est accusé d’avoir tenté d’invalider les résultats de l’élection de 2020. La police a pris sa photo et il a payé sa caution de 200 000 $.
  2. Donald Trump a boudé le premier grand débat entre les candidats à l’investiture sur Fox News, préférant accorder une entrevue à Tucker Carlson sur X diffusée en même temps que le débat.
  3. Durant le débat, six des huit autres candidats à l’investiture républicaine ont indiqué qu’ils appuieraient Donald Trump comme candidat républicain même s’il était condamné par les tribunaux pour l’un des 91 chefs d’accusation contre lui. Pour le courage politique comme pour la boussole morale, il faudra repasser.
  4. Toutes ces réponses

Depuis 2016, les trumpistes ont pris en otage le Parti républicain, l’une des deux grandes familles politiques aux États-Unis. Depuis 1980, les républicains ont occupé la Maison-Blanche pendant 24 ans sur 43.

Quand Donald Trump a perdu le pouvoir en 2020, on aurait pu croire que les conservateurs traditionnels reprendraient le contrôle du parti et que la carrière politique du milliardaire serait terminée. Après tout, quand vous perdez une élection présidentielle aux États-Unis, « vous devenez un perdant pour la vie », blaguait Mitt Romney1.

Donald Trump est parvenu à contourner cette réalité en partie en faisant croire aux républicains qu’il avait gagné en 2020. C’est archifaux, bien entendu. Mais 69 % des républicains aujourd’hui croient que l’élection de Joe Biden n’est pas légitime, selon un sondage récent de CNN2. C’est un grave problème.

Pourquoi les républicains plus traditionnels ne parviennent-ils pas à reprendre le contrôle de leur parti ?

Parce que Donald Trump a la loyauté absolue de 37 % des électeurs républicains, a constaté l’analyste politique du New York Times Nate Cohn en scrutant les sondages à la loupe3.

Dans une primaire où vous pouvez battre vos adversaires un à un, un tel bloc de partisans qui vous suit aveuglément est un avantage quasi insurmontable.

Nate Cohn a divisé les républicains en six catégories d’électeurs : les membres de l’establishment (14 % des républicains), les conservateurs traditionnels (26 %), l’aile droite (26 %), les populistes/cols bleus (12 %), les libertariens (14 %) et les petits nouveaux (8 %).

La force politique de Donald Trump, c’est son taux d’appui soviétique chez l’aile droite (ceux qui regardent Fox News et Newsmax et pensent que les États-Unis sont « sur le bord de la catastrophe ») et les populistes/cols bleus. Environ la moitié des conservateurs traditionnels appuient aussi M. Trump, entre autres parce qu’il promet de baisser les impôts. Tout ça explique pourquoi nous assistons à la course à l’investiture la moins enlevante et la plus bizarre de l’histoire moderne américaine. Imaginez : le candidat républicain pourrait faire campagne en prison !

L’autre constat décourageant de la semaine : même s’ils se débarrassaient de Donald Trump, les conservateurs plus traditionnels ne seraient pas capables de reprendre le contrôle de leur parti à court terme.

Ron DeSantis et Vivek Ramaswamy, qui se disputent le deuxième rang loin derrière Trump, se comportent en mini-Trump et ont des prises de position extrêmes. « L’agenda climatique est un canular », a dit Vivek Ramaswamy.

Les politiciens les plus populaires disent souvent à leurs électeurs ce que ces derniers veulent entendre. Les élus républicains ne sont pas différents.

Le plus grave problème de la société américaine n’est pas Donald Trump. C’est ce qu’un bon nombre d’électeurs républicains veulent entendre.

Longtemps une grande démocratie, les États-Unis sont maintenant une démocratie de seconde catégorie (sur quatre catégories), celle des « démocraties imparfaites », selon l’indice des démocraties de The Economist. Cette décote s’explique notamment par la division de la population américaine, particulièrement du côté des républicains, ce qui amène des politiciens plus extrémistes.4;5

Dans ce climat aussi clivant, les politiciens plus centristes qui tentent de trouver des compromis sont jetés aux poubelles par leur famille politique. On l’a vu lors du débat cette semaine quand Chris Christie s’est fait huer alors qu’il rappelait une évidence : un président des États-Unis ne devrait pas tenter de voler une élection…

Si Donald Trump quittait la course républicaine, ce serait visiblement un autre trumpiste, peut-être encore plus extrême et certainement plus efficace que lui, qui prendrait sa place.

Misère.

1. Depuis 1932, il y a eu une seule exception : Richard Nixon a perdu de justesse l’élection présidentielle de 1960 contre John F. Kennedy, puis est devenu président huit ans plus tard en 1968. Mais Nixon avait seulement 47 ans lors de sa défaite contre Kennedy.

2. Lisez l’article de CNN (en anglais) 3. Lisez l’analyse du New York Times (en anglais) 4. Lisez une étude du Pew Research Center (en anglais)

5. Le chroniqueur du New York Times Ezra Klein a écrit un livre fascinant sur le clivage aux États-Unis, Why We’re Polarized, publié en 2011.

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