Premier de deux textes sur les sources d’inquiétude qui militent pour une révision du projet de loi 15 visant à réformer le système de santé et de services sociaux.

L’étude détaillée du projet de loi 15 (PL 15), loi visant à rendre le système de santé et de services sociaux plus efficace, est amorcée et le ministre de la Santé semble souhaiter procéder rapidement. Pourtant, un débat sur les « fondements » de ce projet s’impose.

D’une part, les nombreux mémoires déposés à la commission parlementaire proposent de revoir plusieurs orientations du projet. D’autre part, l’Alberta, dont l’expérience de centralisation a inspiré la conception de ce projet, a récemment pris la décision de faire volte-face.

Plus spécifiquement, trois sources d’inquiétudes ou écueils majeurs militent pour une révision du PL 15 :

  • l’efficacité ne fait référence qu’à la dimension de la production de services et à la performance managériale ;
  • la centralisation est excessive ;
  • le recours au privé ouvre la porte à un délestage de responsabilités publiques.

À propos de l’efficacité

L’efficacité, objet premier du projet de loi, n’est pas conçue dans ce dernier en référence à une définition reconnue de la santé, à ses finalités, à ses déterminants. Le projet ne précise pas, non plus, quels sont ses fondements, comme c’était le cas dans les articles 1 et 2 de la Loi sur les services de santé et les services sociaux qu’on s’apprête à remplacer (art. 1178).

Or, le système de santé et de services sociaux, compte tenu de sa nature, doit être abordé comme un système complexe et non pas comme une simple entreprise privée, car pour être efficace, il doit aller bien au-delà de la gestion de la production de services uniformisés telle qu’illustrée par l’organigramme proposé dans le PL 15.

La distinction entre l’efficacité qui porte sur la production de services et celle qui fait référence à une définition reconnue de la santé n’est pas théorique. C’est une chose de mesurer la performance par le nombre d’interventions chirurgicales réalisées, le temps d’attente pour obtenir un service, la durée des séjours hospitaliers, le nombre de lits ou de médecins par habitant, etc. C’en est une autre de mesurer l’espérance de vie en bonne santé, le nombre de décès évitables, la prévention de problèmes comme l’obésité, l’intégration sociale des personnes souffrant de problèmes de santé mentale, les inégalités d’accès, etc. Il faut pouvoir y associer des indicateurs qualitatifs et quantitatifs tenant compte des composantes humaines et contextuelles des services disponibles.

Les amendements apportés jusqu’ici au PL 15 démontrent combien le texte initial manque de vision quant à la raison d’être d’un système public de santé et de services sociaux, et ils ne remédient ni à la pauvreté de son objectif d’efficacité ni à l’absence de fondements, pourtant essentiels pour le travail des acteurs du système de santé. Par exemple, à l’article 1, on a ajouté le concept d’approche populationnelle sans le définir.

La question se pose : saura-t-on être conséquent tout au long de l’étude des 1180 articles alors que c’est une tout autre vision qui a présidé à sa rédaction ?

L’ampleur de cette réforme commanderait de prendre appui sur une démarche collective pour déterminer le degré d’adhésion à conserver quant aux fondements et aux orientations qui ont servi à ériger le système de santé et de services sociaux et d’ensuite les traduire dans son organisation.

À propos de la décentralisation : le projet

À partir de la récente décision de l’Alberta de revenir en arrière sur 15 ans de centralisation de l’ensemble de son système de santé afin notamment d’améliorer les soins de première ligne, on peut déjà prédire les effets négatifs de l’éventuelle création de l’Agence Santé Québec, employeur unique, conçue selon un modèle d’affaires d’une multinationale plutôt qu’un modèle de gestion d’un système de santé et de services sociaux complexe.

Comment une si grosse machine pourrait-elle trouver l’équilibre parmi l’amalgame d’établissements, de fonctions, de vocations, d’acteurs, de services, de programmes et de clientèles ? Sur quels critères établir les priorités en évitant la prépondérance d’intérêts corporatifs ? Comment prévenir la standardisation des pratiques et laisser place à l’innovation ?

Déjà que des composantes importantes de l’organisation actuelle sont en sérieux déficit d’imputabilité envers la population, une population qui a très peu d’occasions de faire entendre son point de vue. On a prévu des conseils d’établissement, mais ce sont là des lieux purement consultatifs, sans pouvoirs réels, dans des territoires décrits par le projet de loi comme régionaux et non locaux.

Nommer un gestionnaire responsable dans chaque établissement ou installation n’est pas de la décentralisation, c’est le gros bon sens. Et, de ne le rendre responsable que devant sa structure hiérarchique, c’est purement technocratique. On doit faire mieux et redonner au concept de proximité, souvent évoqué par le ministre, son caractère social et communautaire, son espace géographique local ainsi que le type de services auxquels il est nécessairement associé : les services de proximité et de première ligne.

À lire mardi : la création d’une nouvelle instance et le recours au privé

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